Eat the Rich

Un peu de contexte : Un copain des internets, Juju, m’a envoyé un petit DM sur Twitter, il y a quelques mois, pour me partager le début de cette short-story dont il avait eu l’idée mais qu’il ne se sentait pas d’écrire. Il m’a alors proposé d’en faire quelque chose et ce quelque chose, c’est le texte qui suit. Je l’avais d’abord partagé à mes abonné·es sur Patreon mais je le mets aujourd’hui à dispo du monde entier avec grand plaisir !

Enjoy !

PS : Si tu es de droite, ce texte n’est définitivement pas pour toi !

Eat the Rich

Le soleil est couché depuis quelques heures, mais les manifestations ne faiblissent pas. La tension est palpable entre manifestants et forces de l’ordre, lassés de ces semaines de mobilisation, et ne cachant plus leur violence à la répression du mouvement. Dans une rue étroite, un groupe de jeunes gens sont nassés par la police depuis maintenant trois heures. Plusieurs sonneries retentissent, les téléphones s’allument tous en même temps. Chacun consulte son appareil, et leur visage vont de l’effroi au sourire.

« C’est un canular ! s’écrit l’un d’entre eux.

– Non non, regarde, c’est en direct sur BFM ! »

L’un des manifestant tend son téléphone pour que les autres personnes puissent écouter.

Flash spécial, on apprend à l’instant le décès du PDG de LVMH, Bernard Arnault, retrouvé mort dans son bureau. La police n’a encore fait aucune déclaration, mais de nombreuses sources indiquent que des photos circulent sur les réseaux sociaux. Nous restons en direct pour avoir des réactions dès que nous aurons plus d’informations.

– Putain, mais c’est dingue !

– J’ai la photo, regardez ! »

L’un d’entre-eux montre la photo à ses camarades de lutte. Bernard Arnault est étendu sur le sol de son bureau. Pâle, il git sans vie au milieu d’une gigantesque pièce où le verre et le métal froid cohabitent avec le luxe. Deux trous noirs dans le cou pour tout bijou. Quelques gouttes de sans rouge apportent une touche de couleur à son costume de grand couturier. Sur son torse, une simple feuille déposée avec des mots écrits en rouge « MANGER LES RICHES POUR SAUVER LES PAUVRES ».

Bientôt, la photo du cadavre du plus grand des grands patrons français fait le tour des chaînes d’information en continu et des réseaux sociaux. Il y a ceux qui crient au scandale, qui y vont de leurs commentaires accusant tour à tour les salafistes, les « wokistes », les féminazis, les zadistes, les islamo-gauchistes…, qui se plaignent qu’en France on n’aime pas la réussite et qui pleurent même la mort de ce symbole de la France qui rayonne. Des entrepreneurs demandent une journée de deuil national dans des posts LinkedIn à rallonge, dans lesquels ils égrainent les emojis *pleurs* comme on égraine son chapelet à la messe.

Et puis, il y a les autres…

Une banderole affichant un « Cheh ! » de 45 mètres est accrochée à l’Arc de Triomphe par des militant·es masqué·es alors que des milliers de manifestant·es défilent sur les Champs-Élysées. Là aussi les chaînes d’information en continu font leur beurre et aux images de (Saint) Bernard entouré de sa famille et de son chien en vacances à St Tropez se superposent celles des « terroristes anti-patriotiques sans cœur » et des « révolutionnaires de bas étages » qui ont eu la cruauté de se réjouir un instant de la disparition du vautour de l’industrie.

La lutte prend ce soir-là un tournant radical inattendu. Enfin, quelqu’un a osé prendre au pied de la lettre le dicton de Jean-Jacques Rousseau « Quand le peuple n’aura plus rien à manger, il mangera le riche » !

Le peuple, cela fait des semaines, des mois même, qu’il clame son ras-le-bol et sa faim – de justice et littérale. Il a d’abord manifesté dans les règles, slogans et banderoles en avant, entre République et Nation. Mais face à l’obstination du gouvernement, le peuple a durci le ton. Blocages d’universités, de raffineries, grèves, poubelles embrasées, aux chants bon-enfant ont succédé les flammes de la colère.

Jusqu’à ce soir, jusqu’à ce premier meurtre dont je suis, je le reconnais, le responsable.

D’habitude, je ne me mêle pas des affaires des mortel·les. Je les laisse s’entre-tuer gaiement et je vis ma vie de prédateur au milieu de leurs drames sans m’en préoccuper. J’ai déjà fort à faire avec ma propre existence. Trouver du sang n’est pas une tâche facile en 2023, à l’heure où tout est en ligne, où personne n’est invisible même celui qui ne se reflète pas dans les miroirs. Rester le plus à l’écart possible, me faire discret, traverser l’espace et le temps tout en trouvant de quoi assouvir ma soif est plus qu’une question de bon sens, c’est une question de survie.

Mais depuis quelques années, je me suis surpris à éprouver de l’empathie pour elleux, à ressentir leur désarroi, leur colère et à reconnaître que bien que leurs vies ne durent pas toujours contrairement à la mienne, elle n’en sont pas moins devenues de plus en plus difficiles, complexes, quasi-insupportables et dénuées de tout sens.

Des riches si riches qu’ils perdent pied, j’en ai vu, depuis des siècles. Des rois fous, des empereurs cruels et sanguinaires, des assoiffés de pouvoir et de sang… et j’ai beau savoir que ça ne dure jamais ce genre de règne, le leur me parait durer depuis trop longtemps.

Loin de moi l’idée de vous dire que c’était mieux avant, ça ne l’était pas, ça ne l’a jamais été. Cependant, je me suis rendu compte que je pouvais peut-être, pour une fois, ne pas rester spectateur de l’infamie. Que j’avais un rôle à jouer pour essayer de protéger la race humaine. Comme tout bon prédateur je dois m’assurer de l’abondance de mon garde-manger et si je choisis de laisser faire comme je l’ai toujours fait, il me semble évident que je finirai par me retrouver seul, parmi mes congénères, une fois que le monde aura terminé de brûler.

J’ai vu ce pays que j’habite depuis des siècles tomber plusieurs fois aux mains des nantis et des bourgeois et je connais mon peuple de France par cœur. Quand il révolutionne, il a besoin de voir tomber les têtes de ces dirigeants de l’ombre ou de la lumière contre lesquels il n’a, pendant trop longtemps, rien fait. Il est comme ça mon peuple de France, il aime avoir le contrôle mais fait aussi confiance trop facilement à celleux qui viennent d’en haut. Il semble avoir la mémoire courte mais quand elle lui revient, il ne pardonne plus. Il brûle, il saccage, et les têtes commencent vite à tomber. J’ai juste eu envie de l’aider un petit peu à ma façon.

Le slogan « Eat the Rich » que je vois beaucoup en manifestations ces derniers mois m’a donné une idée tout simple. Si je commençais par littéralement bouffer un riche ? Ça aurait du panache, ça leur donnerait de l’énergie, un souffle nouveau alors que le mouvement est réprimé de plus en plus violemment. Mon choix a été vite fait, j’ai choisis le numéro un, le plus riche, le plus grand, celui qui se bat le plus férocement depuis des dizaines d’années pour garder ce pouvoir, cette richesse et cette position quasi-monopolistique. Il n’a pas eu autant de goût que je le croyais. Je m’attendais à quelque chose de sirupeux, de moelleux, un sang de bête bien nourrie et bien soignée mais finalement, je me suis retrouvé à déguster un sang faible en goût, un sang d’animal malheureux, stressé, toujours sur le qui-vive et j’ai été déçu. Je m’attendais à mieux mais j’ai quand même fini mon assiette et j’ai laissé le petit mot pour dire à ma France que je prenais les choses en mains désormais. J’étais de son côté, qu’elle ne s’inquiète pas.

La police n’a toujours pas retrouvé le coupable du meurtre de Bernard Arnault malgré les déclarations du Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, assurant les Français que le coupable serait retrouvé, jugé et emprisonné pour son crime. Les semaines d’enquête et les interrogatoires s’accumulent mais toujours aucun suspect valable ne se détache… Les enquêteurs ne négligent aucune piste : attentat terroriste, assassinat commandité par un de ses nombreux détracteurs dans le monde des affaires ou politique, crime passionnel, tout l’entourage de Bernard Arnault a été interrogé, famille, amis, ennemis, mais en vain. Reportage de Clément Duflon et Habib Amzel au SRPJ de Nanterre où l’enquête piétine.

Je ne pensais pas que mon intervention aurait un tel retentissement dans la communauté qui est la mienne, mais je reçois de plus en plus de messages de mes acolytes de l’ombre saluant mon initiative et me proposant même leurs services. Je ne suis visiblement pas le seul à trouver que ça va trop loin, que faire travailler plus longtemps celleux dont nous nous repaissons n’est vraiment pas une bonne idée et qu’il faut que les richesses soient mieux redistribuées pour nous permettre à nous aussi de survivre, en nous nourrissant correctement, d’une viande ou d’un sang en bonne santé et plein de vigueur. Nous sommes nombreuses et nombreux à nous préoccuper de notre alimentation et à refuser de nous laisser refourguer de la vieille viande malade pour satisfaire la cupidité d’une bande de bourgeois.

Avec celles et ceux qui ont eu envie de se joindre à moi pour une action de terrain, nous décidons de dresser une liste de cibles à éliminer pour que la France et le monde aillent mieux. Mon équipe commence en local parce que c’est ce qui nous concerne le plus directement mais je suis rapidement sollicité par des collègues outre-Atlantique et de l’autre côté de l’ancien rideau de fer pour coordonner les actions et la liste s’allonge rapidement.

À nous maintenant de décider comment agir. Une frappe synchronisée ou des disparitions progressives ? Sommes-nous en nombre suffisant pour nous déployer dans le monde entier et attaquer en même temps ? Vaut-il mieux laisser croire à des accidents ou continuer de signer nos repas ?

Les idées fusent dans tous les sens, les questions pleuvent et cela faisait bien longtemps que je n’avais vu des forces maléfiques s’accorder sur un même combat. L’intersectionnalité de la lutte est belle à voir : lycans, vampires, ghoules, cannibales et j’en passe, réuni·e·s autour d’une même vision, autour d’un même projet : manger les riches pour sauver les pauvres (que nous mangeons ensuite).

Nous établissons un ordre de priorité et décidons de commencer en distillant les meurtres afin de laisser une chance aux cibles de se repentir, de changer de braquet et de retirer ce projet de loi absurde et mortifère. Elizabeth Borne ne donne faim à personne, pas assez de viande et son sang ne semble pas de bonne qualité à la voir. Darmanin, en revanche… Et puis, Forbes vient de publier la liste des personnalités les plus riches du monde. Bernard Arnault, ancien n°1 français cède la place à sa dauphine, Françoise Bettencourt-Meyers, héritière de Liliane « Mamie Zinzin » Bettencourt et de la multinationale L’Oréal. Parce qu’elle le vaut bien, elle est la suivante.

À table !

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