squelette de tête de cerf accroché sur un fond blanc

Cerf, cerf, ouvre-moi !

Ce texte a été réalisé dans le cadre de #StayHomeWriMo : nanowrimo.org/stayhomewrimo. En gros, les gens qui organisent #NaNoWriMo ont lancé un mois de l’écriture spécial « Je reste à la maison » pour permettre à la communauté des écrivain·es qui y participent de s’occuper sainement et d’écrire. Chaque jour, on nous file quelques conseils « bien-être et santé mentale » et un thème d’écriture sur lequel plancher.

Exercice du jour : Écrire sur un personnage qui est coincé à l’intérieur. Qu’est-ce que ça lui fait ? Pourquoi il/elle est là ?


Putain de bordel de merde. Comment je vais me sortir de là ?

« Y’a quelqu’un ? » hurlais-je en secouant la porte qui restait définitivement fermée. « Hé ho ?! » Mais évidemment, il n’y avait personne. Pour une putain de fois que tout le monde respectait ce putain de confinement, c’était évidemment quand je me retrouvais coincée dans la cave de l’immeuble ! Font chier les gens, merde ! « S’il vous plaiiiit », criais-je encore, « personne ne peut m’ouvrir là ? »

Bien sûr, je ne pouvais pas compter sur la petite mamie du rez-de-chaussé pour venir me décoincer, la pauvre était tombée malade et avait été emmenée à l’hôpital il y a deux jours. Pour une fois que sa tendance à espionner tout le monde derrière le judas de sa porte d’entrée aurait pu servir à quelque chose…

Je m’assis sur les marches de l’escalier en béton qui descendait vers les caves de l’immeuble. Je ne savais pas quoi faire. J’avais tout essayé : hurler, appeler à l’aide, secouer la porte comme une folle, taper dessus, tourner la clé à droite, à gauche, lever la poignée, la baisser… rien à faire, pour une raison que j’ignorais, je me retrouvais coincée dans cette putain de cave d’immeuble, toute seule, en pleine période de confinement, à l’heure du repas du soir. Bravo. Merci. Super.

J’allais devoir attendre qu’un de mes voisins ait la glorieuse idée de venir jeter sa poubelle ou d’aller chercher un truc dans sa cave pour enfin sortir de ce trou qui puait les ordures et l’humidité. C’était bien ma veine quand même. Enfermée dans une cave pendant un confinement. Inception d’enfermement. Encore plus seule que la solitude que j’avais subie ces derniers jours. Alice au pays de la merde.

Après un certain temps à attendre sur mes marches que quelqu’un qui n’arrivait décidément pas vienne, je me suis dit que j’allais me dégourdir les jambes en déambulant dans les couloirs. Le truc des caves de cette barre d’immeuble, c’était qu’avant, elles communiquaient entres elles, d’un immeuble à l’autre, ce qui aurait judicieusement pu me permettre de sortir, d’aller sonner à l’interphone d’une voisine pour qu’elle me laisse rentrer, mais depuis quelques années, les portes avaient été condamnées. Trop de caves fracturées et de vélos volés.

Je me suis souvenue de ça en marchant dans les couloirs glauques de la cave, chose que je faisais rarement, bizarrement.

C’était foutu comme une sorte de labyrinthe qui n’en était pas un. Tout se ressemblait, ce qui fait qu’on avait rapidement l’impression de se perdre alors qu’en fait, il ne s’agissait que d’une espèce de couloir souterrain avec des dizaines de portes de chaque côté, chacune appartenant à un des locataire de l’immeuble. Et derrière chaque porte – enfin je dis porte je devrais plutôt parler de « barrière » puisqu’en guise de porte, les caves individuelles étaient fermées par des sortes de barrières en bois, des portillons de jardins en plus haut, qu’on tenait fermés à grand renfort de cadenas et autres chaînes selon que l’on tenait ou pas à ce qu’on y entreposait – derrière chaque porte, donc, un peu du jardin secret de mes voisins.

Pour certains, la cave c’était le débarras, le lieu où l’on entreposait toutes les saloperies qu’on accumulait au fil du temps mais qu’on n’avait plus la place ou l’envie de voir dans l’appartement. Pour d’autres, c’était le garde-manger, le cellier, un lieu pour stocker des conserves, du lait, des packs d’eau en attendant d’en avoir besoin et s’éviter d’aller faire les courses. Pas mal de gens s’en servaient comme garage / atelier et y entreposaient leurs vélos, leurs outils et même, un de mes voisins s’y était même aménagé un établit avec étau et compagnie pour bricoler peinard le dimanche.

A chaque fois que je pouvais, j’essayais de voir ce qu’il y avait derrière la porte de la cave et je m’amusais à deviner à qui elle appartenait. Un vélo d’appartement, une table à langer, des boites estampillées « jouets », « vêtements 6 mois », une draisienne…. ça devait être le couple de 8è étage, avec leur gosse qui avait maintenant 3 ou 4 ans. Je vérifiai le numéro peint au pochoir en haut de la porte. 84. Bingo ! J’avais vu juste !

Je continuais mon petit manège pendant moment – je n’avais ni mon téléphone, ni ma montre, aucune idée du temps que je passais là – attendant toujours d’entendre des bruits de pas qui descendaient les escaliers, ou un bruit de clés dans la porte de la cave. Comme aucun des deux ne se produisaient, je poursuivais mon jeu de « Devine à qui est la cave ? ». Un établi et des outils, appartement 62. Gagné ! Des cartons, des vélos, des boites de rangement… hum, plus difficile. Disons, le 34 ? Ah, manqué, c’était le 52.

Après les caves des appartements du 12è étage, sensés être les derniers de l’immeuble, je vis un renfoncement, qui s’avérait être un couloir que je n’avais jamais remarqué. En même temps, moi j’habitais au 4è, ma cave n’était pas très loin de l’entrée, donc je n’avais aucune raison d’aller me balader dans ce coin-là. Ce n’était donc pas si étonnant que je n’ai jamais vu ce couloir, me disais-je pour me rassurer un peu, parce que ça me paraissait quand même étrange et je commençais à me faire flipper toute seule dans cette ambiance de béton, de toiles d’araignées et de coins mal éclairés.

Ce qui était particulièrement bizarre, c’est qu’au bout de ce couloir, il y avait une porte, mais différente des autres portes des autres caves. Je ne savais même pas s’il y avait une cave derrière cette porte, d’ailleurs. Je supposais ça instinctivement, dans un élan de rationalisation, pour ne pas m’enfoncer dans la panique. Mais au fond, je n’en avais aucune idée et ça ne le plaisait pas du tout de ne pas savoir.

J’hésitais. Est-ce que je devais aller voir ? Ça se trouve, il y avait une sortie derrière cette porte que je ne connaissais pas ! Ça se trouve, elle était fermée aussi cette porte et je ne saurai jamais ce qu’elle cachait et au pire, je continuerai à m’en foutre. Il fallait que j’aille voir quand même. En plus, il me semblait qu’un rayon de lumière filtrait du bas de la porte. Comme s’il y avait du dehors derrière.

Je m’approchais, doucement, faisant attention à ce que le minuteur de la cave ne se coupe pas et que je ne me retrouve pas subitement dans le noir, et pour cela, j’appuyais dessus une bonne quinzaine de fois avant de m’avancer vers la porte. Je tendis l’oreille et essayai d’entendre si ça bougeait derrière. Est-ce que je devais toquer ? C’était con comme question mais je ne pouvais pas me résoudre à ouvrir une porte fermée sans faire preuve d’un minimum de politesse.

Je toquai deux ou trois coups et je demandai « Pardon, il y a quelqu’un ? » d’une voix peu sûre.

À ma grande surprise, quelqu’un me répondit « Oui, un instant s’il vous plait ! » ce qui me fit faire un bon de quelques mètres en arrière et qui provoqua une accélération de mon rythme cardiaque telle que j’ai cru que j’allais vomir mon cœur.

Je ne savais plus quoi faire. J’étais partagée entre la joie de me dire que j’avais peut-être trouvé un moyen de sortir de là, mais j’étais aussi pétrifiée par la peur. C’était quoi cette porte ? C’était qui derrière ? J’essayais de rester calme, de ne pas céder à la panique et de garder des idées rationnelles mais j’avais vraiment du mal, d’autant que je savais que j’étais coincée ici, que je n’avais pas d’issue, que je ne pouvais pas me cacher bien longtemps d’un éventuel agresseur. Ça y est c’était bon, j’étais morte de trouille.

J’entendis un bruit de verrou qu’on tournait de l’autre côté de la porte et je vis la poignée s’abaisser et la porte s’ouvrir vers l’intérieur.

Un homme avec une tête de cerf se tenait là, et moi, évidemment, je me suis mise à gueuler comme un putois. Puis, je me suis arrêtée parce que mon propre cri m’avait fait encore plus peur.

Je ne réussissais pas à bouger, pétrifiée comme un lapin dans les phares d’une voiture, mais d’un côté, ce n’était pas plus mal parce que j’ai fini par voir qu’en fait, le type n’avait pas vraiment une tête de cerf, mais juste qu’il en tenait une dans les mains. Qu’est-ce que foutait ce type avec une tête de cerf dans les mains, dans ce qui semblait être une cave secrète planquée au fond du sous-sol d’un immeuble ? Bonne question que je m’empressais de lui poser, mais pas vraiment de cette manière. C’est sorti plutôt dans le désordre.

« Qu’est-ce que ? Bordel ! C’est quoi cette…merde ! C’est qui, vous ? »

Ce à quoi il me répondit :

« Vous aimez les animaux empaillés ?

 » Hein ? Quoi ? Les quoi ? »

« Les animaux empaillés ? dit-il en me montrant la tête de cerf qu’il tenait dans les mains, avant de la poser sur un établi derrière lui. La taxidermie ? Je me suis fait mon petit atelier personnel dans cette cave ! » me dit-il. « Désolé de vous avoir fait peur, je pensais que c’était ma femme qui venait me chercher pour aller manger, j’ai voulu lui faire une blague ».

Le type s’avérait être un de mes voisins, Monsieur Rablon, qui habitait au 3è étage. Il avait pris la liberté de s’approprier une cave inoccupée depuis des années et d’y construire son « petit nid douillet » de taxidermiste. Évidemment, il avait installé une vraie porte pour ne pas que les autres voisins voient ce qu’il fabriquait ici. Et depuis des années qu’il squattait cette cave, personne n’était venu l’emmerder. Personne n’avait remarqué la porte puisque personne n’allait jamais vraiment au bout du couloir. Même le gardien de l’immeuble n’en avait jamais parlé.

J’étais complètement abasourdie, incapable de lui dire quoi que ce soit, j’étais trop fascinée et flippée par les dizaines d’animaux empaillés que j’apercevais derrière lui. Un couple de pigeons, un furet, un écureuil, deux chats, cette énorme tête de cerf (qu’il venait d’acheter en brocante, m’a-t-il ensuite expliqué)… Et tout un tas d’outils, de boites avec des yeux de toutes les couleurs ! C’était l’atelier d’Hannibal Lecter mais en moins gourmet.

J’ai du rester bouche bée un moment parce qu’il a eu l’air de s’inquiéter de mon absence de réaction et il a fini par me demander ce que je foutais là.

« Je suis coincée dans la cave depuis tout à l’heure. J’étais descendue pour jeter ma poubelle et la porte est restée coincée, du coup, j’arrivais pas à sortir et personne m’entendait crier alors je me suis dis que j’allais attendre et puis…

« Et puis en vous promenant vous êtes tombée sur ma porte ! Vous avez de la chance ! J’ai pas mal d’outils ici, je vais vous aider à sortir ! » En quelques minutes, Monsieur Rablon avait débloqué la porte et moi, j’avais regagné mon appartement.

On n’en était qu’à la première semaine de confinement et je me retrouvais déjà coincée dans la cave de l’immeuble à rencontrer un voisin taxidermiste ! Qu’allait-il m’arriver les semaines suivantes ? Bizarrement, je n’avais pas hâte de le savoir.

Ce soir-là, je n’ai pas cessé de repenser à Monsieur Rablon et sa tête de cerf et j’ai fini par me dire que j’avais vraiment eu de la chance de tomber sur lui. Même si j’avais eu peur, même si j’avais failli tomber dans les pommes, c’était rassurant de savoir qu’un de mes voisins était en mesure de dépecer quelqu’un en cas de besoin. On sait jamais, par les temps qui courent…

Photo : Kues1 / Freepik

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