Adèle, mes kilos et moi

Récemment, Adèle a posté une photo d’elle pour ses 32 ans où elle affiche une perte de poids considérable. Loin d’être jalouse d’elle, ça me renvoie à mes propres luttes contre mes kilos, la grossophobie (internalisée et systémique) et les troubles du comportement alimentaire que je me trimballe depuis des lustres. Réflexions.

Ce matin, je suis tombée sur un thread de Mathilde (Politicafé, Z Comme Zodiaque) sur Twitter, qui a éveillé quelque chose en moi. Elle y parlait de la récente « transformation » d’Adèle et de ce que la perte de poids de la chanteuse provoquait en elle : un signal d’alarme. Je me suis énormément retrouvée dans les inquiétudes de Mathilde. Non pas que j’ai quoique ce soit à dire sur la star anglaise de 32 ans, qui depuis quelques mois affiche une nouvelle silhouette dont elle semble fière et heureuse, mais plutôt parce que ça a aussi déclenché une sorte d’alerte en moi. Une envie de lui demander, comme si je la connaissais et parce qu’elle fait écho à une partie de moi – est-ce que tout va bien ?

Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai lutté contre mon poids, contre mon corps et contre mon image. Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai enchaîné les régimes, j’ai essayé de mincir, de maigrir, de rééquilibrer mon alimentation, d’apprendre à m’aimer « telle que j’étais » tout en faisant absolument tout en mon pouvoir pour changer mon apparence. J’en ai souvent parlé ici, notamment, il y a trois-quatre ans, lorsque j’essayais de devenir « la meilleure version de moi-même« , expression que je hais du plus profond de mon âme aujourd’hui, mais c’est un autre débat.

Avec le recul, et à la lumière de ce que j’ai traversé ces derniers mois, je me suis rendue compte que noter tout ce que je mangeais chaque jour minutieusement dans une application de suivi de calories, préparer mes repas à l’avance et peser les quantités de chaque ingrédient pour ne pas dépasser un certain nombre de calories, dépenser des centaines et des centaines d’euros dans des compléments alimentaires, des poudres diverses, du coaching, le tout dans le but de perdre du poids, ce n’était pas un comportement « normal », et ce n’était pas un rapport sain à l’alimentation.

Je cherchais le contrôle absolu de tout ce que j’ingérais, j’étais obsédée par la nourriture, à la recherche constante de l’aliment qui m’apporterait le plus de nutriments tout en étant le moins calorique, et pourtant je passais des heures et des heures à penser à la nourriture, à ce que j’allais manger, quand j’allais manger… Je me pesais tous les jours ou presque, je suivais ma courbe de poids et de composition corporelle en eau, graisse et muscles dans une application dont la courbe de progression avait un impact direct sur mon état de joie, de tristesse ou de dégoût de moi. Je faisais du sport trois fois par semaine de manière intensive, quitte à souffrir encore plus du dos, quitte à avoir des courbatures en permanence, quitte à être épuisée physiquement, avoir la peau dégueulasse et des cernes sous les yeux. Mais j’étais une « athlète du quotidien » et surtout, j’étais plus mince que jamais et je commençais même à voir des muscles se dessiner sur ma silhouette ! Tous ces comportements plus que limites, toutes ces souffrances, toutes ces privations étaient justifiées ! J’étais enfin belle, mince, musclée. On ne cessait d’ailleurs de me complimenter sur mon physique, chose qui ne m’était jamais arrivé !

Et pourtant, ça n’était jamais assez. Je voulais perdre plus et j’étais en colère contre mon corps parce que je n’y arrivais pas, parce que j’avais encore du ventre, parce que j’avais encore des fesses, parce que j’avais encore des cuisses… J’étais malheureuse. Je me haïssais, je haïssais mon corps et je haïssais le fait que je haïssais mon corps alors que je savais que tout cela c’était de la grossophobie et que je devais lutter contre ça, contre ces standards inatteignables que la société avait décrété et sur lesquels l’industrie de la minceur et du bien-être se faisaient des couilles en or.

Ma haine de moi et mes larmes ne servaient qu’à enrichir des actionnaires qui n’en avaient rien à foutre de mon bien-être au fond – et ça me rendait folle d’alimenter leurs comptes en banque tout en ayant conscience de ça.

Mais à l’inverse, lorsque je mange encore et encore et encore, même lorsque je n’ai pas faim, quand je me remplis l’estomac pour ne plus ressentir le vide que j’ai dans le cœur, que je mange quand je m’ennuie, quand je suis triste, quand je suis heureuse, quand je mange vite, beaucoup jusqu’à ce que l’estomac soit tendu, rempli, repus, douloureux même, ça n’est pas non plus un rapport sain à la nourriture.

Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’oscille entre ces deux comportements troublés et troublants. Contrôle absolu, remplissage maladif.

Depuis ma période de dépression sévère l’été dernier et les six-huit mois qui ont suivi, j’ai totalement arrêté le sport intensif (je ne fais que du yoga et du stretching une fois par semaine) et je n’ai plus vraiment fait attention à ce que je mangeais ni en quelle quantité. Résultat des courses, j’ai pris une quinzaine de kilos, notamment, ces deux derniers mois, confinement oblige.

J’étais déjà en surpoids à la base, je continue de l’être et j’ai même augmenté la charge. Je pèse environ 87 kilos pour une taille d’1m65. Mon IMC est dans la catégorie « obésité modérée » et n’importe quel médecin « qui ne veut que mon bien » me dirait que ça serait bien que je « fasse attention ».

Je mentirais si je disais que je ne me suis jamais sentie aussi bien de ma vie. J’ai toujours des moments où je me trouve moche, où les bourrelets sur mon ventre me rendent folle, où la taille de mes cuisses m’obsède et où la rondeur de mon visage me fout en transe – entre parenthèses c’est quasiment tous les mois, une semaine environ avant mes règles que le dégoût de moi frappe le plus fort, merci les hormones (sur le sujet, va jeter un œil sur le compte @SPMTaMère sur instagram).

Cependant, comme je l’ai dit à mon médecin lors d’un rendez-vous de suivi pour ma dépression, j’en ai marre de me battre. J’en ai marre de me faire du mal, j’en ai marre d’être obsédée par quelque chose qui ne détermine pas ma valeur en tant qu’être humain, j’en ai marre de nourrir une industrie perfide qui entretient le mal-être de millions de personnes pour s’enrichir, j’en ai marre de la grossophobie que je m’inflige, j’en ai marre que le mot « grosse » signifie « moche » et surtout, j’ai d’autres combats bien plus importants à mener. J’ai envie de dépenser mon énergie à autre chose qu’à essayer de perdre du poids.

[À ces mots, mon médecin adoré m’a dit « OK » et est passé à autre chose. Je l’aime d’un amour pur et médical, si tant est que ça veuille dire quelque chose.]

Alors que le corps d’Adèle va certainement continuer à faire parler, à faire couler de l’encre et faire du clic, j’aimerai que mon corps à moi ne soit plus au centre de mes préoccupations, pour une fois. Et depuis quelques mois, effectivement, je ne suis plus centrée sur la taille de mon cul, de mes cuisses ou de mes hanches. Je ne suis plus obnubilée par le contenu de mon assiette et ses apports en protéines, glucides, lipides, et autres macro-nutriments. Et tu sais quoi ? Ça fait du bien. C’est reposant. C’est agréable de ne plus se prendre la tête au restaurant, à se dire que, non, attends, je vais pas prendre les frites en accompagnement parce que j’ai déjà mangé des féculents ce midi, du coup, je vais opter pour la salade même si j’avais envie d’autre chose. C’est libérateur de ne plus se regarder les cuisses en permanence quand tu vas te baigner en te disant que beurk tu as de la cellulite, vite cache-toi dans ta serviette en sortant de l’eaunews flash, tout le monde en a plus ou moins et on s’en branle.

Ça fait drôlement de bien au cœur et à la tête de ne plus s’évertuer à détester et tenter de contrôler son corps mais juste de le laisser vivre.

J’entends déjà la petite voix de merde dans ma tête me dire que je suis salement hypocrite, que j’essaie de justifier ma prise de poids et mon laisser-aller par des grands principes. Cette petite voix, c’est celle de la grossophobie internalisée, la perfide, qui essaye de me persuader que « gros » c’est forcément négatif et synonyme de mauvaise santé et négligence. Alors que je n’ai pas eu de crises aiguës de douleurs dans le dos depuis des mois. Alors que je ne suis pas tombée malade depuis des mois.

Il n’y a pas vraiment de conclusion ou de morale à cette histoire. J’avais juste envie de partager mon expérience avec la découverte de l’amour-propre et de l’acceptation de mon corps. Rien n’est encore gagné. Je suis très loin de pouvoir dire que je suis bien dans ma peau mais globalement, je me sens déjà beaucoup mieux dans ma tête, maintenant que je me préoccupe bien moins de mon enveloppe et que je m’attache à prendre soin de son contenu.

La bonne nouvelle, c’est que la société évolue doucement, que des marques de fringues ont la présence d’esprit (et marketing) d’augmenter leurs tailles et de proposer des vêtements pour les corps gros afin que tout le monde ait quelque chose de sympa à se mettre sur le dos, quelle que soit la taille de son cul. La bonne nouvelle c’est que des activistes et/ou militantes féministes font un boulot exceptionnel pour éduquer contre la grossophobie, pour rendre visible les corps gros et déconstruire tout ce que l’industrie du « régime » et le corps médical nous infligent depuis des dizaines et des dizaines d’années.

La bonne nouvelle c’est que depuis que je ne passe plus la moitié de ma journée à penser à la bouffe et à mon corps, je suis bien plus heureuse. Ça devrait me suffire pour je continue dans cette voie.


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Crédit image : Marion_juice

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