C’est le genre d’histoire qui tourne autour de quatre mots. Une histoire qui ne devrait même pas en être une, mais qui a commencé autour de quatre tous petits mots.
« Dans une autre vie »
Il avait fallu qu’elle lui balance cette non-phrase et qu’il la lui balance à son tour pour que ça parte en sucette total dans sa tête. Quatre mots, même pas les plus fous de la langue française, mais qui ont suffit à la faire basculer du mauvais côté de son cœur, celui qui croit, celui qui imagine, celui qui aime. Une préposition, un article défini, un adjectif et un nom. Des mots basiques qui, pris seul à seul, n’apportaient pas grand-chose mais qui, mis à la suite, ont réussi à lui percer le cœur et lui retourner le cerveau.
Quatre putain de mots qui lui ont fait perdre le sommeil. Quatre putain de mots qui l’ont perturbée. Quatre putain de mots qui lui ont donnée beaucoup trop d’idées.
« Dans une autre vie ». Mais quoi, « dans une autre vie » ? Quoi ? Dans une autre vie ça aurait pu être lui ? Peut-être que oui et mais peut-être que non aussi. Et de toute façon, elle n’était pas dans une autre vie. Elle n’avait pas d’autres circonstances. Elle n’avait que cette vie là, ses choix passés qui l’ont mené où elle était aujourd’hui. Et elle était là où elle se devait d’être, point.
Alors que son chemin croise celui d’une éventualité, d’une possibilité, d’un goût de « pas de bol c’est loupé », soit. Ça peut arriver. La vie est faite de petits coups de pieds dans la tronche balancés là pour tester ta résistance. Mais qu’elle s’accroche à cette idée, qu’elle s’accroche à ces quatre petits mots insignifiants, qu’elle se dise qu’il y a là peut-être un clin d’œil du destin ou une autre connerie dans le genre, non ! Qu’elle s’autorise à tenter d’ouvrir des portes qui ne mèneront nulle part, non !
Mais c’était son problème, et elle le savait. Elle aimait vraiment aimer. Elle aimait apprendre à connaître, découvrir des points communs, s’en réjouir, déceler une étincelle, un regard, un sourire. Elle aimait entendre des « dans une autre vie », elle aimait sentir qu’il pouvait y avoir des « si… ».
Elle aimait sentir son cœur se gonfler et sa tête se remplir d’un nouvel être. Elle aimait essayer de savoir si elle réussirait à avoir ce qu’elle ne méritait pas. Elle aimait par dessus tout avoir ce dont elle n’avait pas besoin.
Elle savait qu’elle se faisait du mal, elle savait que probablement rien de ce qu’elle pensait avoir décelé n’était vrai. Mais elle était très forte pour se faire croire. Très bonne pour s’amadouer.
Elle savait qu’elle pourrait même faire du mal autour d’elle. Qu’elle prenait des risques à se faire des idées. Qu’elle y perdrait de toute façon plus qu’elle n’avait à y gagner.
Mais elle n’arrivait pas à s’en empêcher. Elle n’arrivait pas à ne pas se dire que « dans une autre vie », ça pouvait aussi être dans celle-ci. Et que dans cette vie-là, elle ne pourrait pas y goûter un peu aussi.
Elle avait ressenti un besoin irrépressible de lui parler, tout de suite après sa nuit sans sommeil. Elle s’était sentie obligée et elle se disait : s’il ne me répond pas, c’est que j’ai rêvé. Mais il répondait. Encore et encore. Il n’arrêtait pas de répondre. Alors elle se disait « peut-être que… » et, toute pathétique qu’elle se trouvait, elle souriait. Et toute horrible qu’elle se sentait, elle continuait.
Tout ça parce que « dans une autre vie »…