XB4568

Un prompt, une histoire qui sort de ma tête. La Figure Imposée est un défi que je me lance à partir d’exercices d’écriture, de prompts ou de petites phrases trouvées en ligne.

Prompt : Le personnage se coupe profondément pour la première fois et au lieu de découvrir du sang ou des os, il voit des fils et des circuits électriques.


Alors, étape 1, découper les carottes en rondelles, tout en faisant chauffer un peu de beurre dans la poêle. D’accord, ça je devrais y arriver. Je ne suis pas douée en cuisine, mais bon, ce ne sont pas trois carottes qui vont me faire peur ! Non mais dis donc ! Il est vrai que j’ai réussi à mettre le feu à ma cuisine en me préparant des pâtes un jour, mais ce n’est arrivé qu’une seule fois ! Bon, deux, mais j’étais jeune, j’habitais seule pour la première fois et je ne savais pas que jeter de l’eau pour éteindre de l’huile enflammée ça n’était pas une bonne idée. Bref, oui, bon, d’accord, je ne suis pas très sereine face à mes carottes, je le reconnais, mais je peux le faire ! J’ai choisie une recette classée « facile » dans l’application exprès !

Allez, les carottes sont épluchées, je prends mon plus beau couteau de cuisine – un de ceux que ma mère m’a offert lorsque j’ai emménagé dans cette nouvelle maison – et j’y vais ! Je vais y aller. Allez ! Je me lance ! J’empoigne mon couteau avec assurance et fermeté (tout ce que je ne ressens pas sur le moment), je prends une carotte dans ma main libre et je la maintiens sur la planche à découper. La lame approche du légume orange et je sens mon petit cœur de mauvaise cuisinière s’affoler. D’un coup sec, je tranche. La planche à découper se recouvre de sang rouge et poisseux. J’aurais peut-être dû garder au moins un œil ouvert…

Merde ! Merdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerdemerde ! Vite, un essuie-tout, un torchon, n’importe quoi pour arrêter ce saignement ! Je n’ai même pas si mal que ça, mais bon sang, ça pisse ! J’emballe ma main entaillée dans un torchon à vaisselle, jette le coupable couteau dans l’évier et pars en jurant vers la salle de bain pour me soigner. Puis, je fais demi-tour en jurant à nouveau, coupe le feu allumé sous la poêle pleine de beurre et retourne en direction de la salle de bain. J’en étais sûre ! Punaise, j’en étais sûre ! Quand c’est pas le plat que je loupe, c’est moi que je ne loupe pas ! Quelle imbécile !

Je m’assieds sur le rebord de la baignoire et défais lentement mon bandage de fortune pour évaluer l’ampleur des dégâts auto-infligés. J’ai une belle entaille entre le pouce et l’index, qui part de la jointure et va jusqu’à la paume de ma main gauche. Je me suis tracée une nouvelle ligne de vie – merci, moi, ce n’était vraiment pas nécessaire – sauf que celle-là saigne abondamment et semble assez profonde. J’ose à peine regarder, mais il le faut. Je soulève le lambeau de peau pour mesurer la portée de ma maladresse et savoir si je vais devoir m’offrir un passage aux urgences.

Houston, on a un problème.

Je m’attendais à du sang, de la chair, des fluides dégueulasses en tout genre, mais pas à ça. La douleur me donnerait-elle des hallucinations ? En lieu et place d’une main « humaine » je vois sous ma peau du rouge, du vert, du orange, des fils électriques, oui, et ce qui semble être une mécanique de petit vérins tous fins. La peau ne saigne plus à présent, comme si une poche s’était totalement vidée et ne laissait plus que l’intérieur visible ; ouverte comme le capot d’une voiture, ma main peut bouger, mais il n’y a pas d’os, de muscles, rien de tout cela. Je vois l’intérieur d’un robot. Je vois l’intérieur d’un robot ! Bordel de merde, l’intérieur de ma main est une mécanique tout sauf organique !

Qu’est-ce que c’est que cette histoire ! Je dois m’être évanouie et je suis en plein délire. Je me pince de ma main valide – comprendre « non-ouverte » si je puis dire – et la sensation de douleur sur ma cuisse me confirme que non, je suis bel et bien éveillée. Je regarde à nouveau ma main robotique et elle n’a pas changée. Soit. Ok. Soit. D’accord. Impossible. J’y crois pas. Je n’arrive pas à quitter du regard cette main qui est la mienne mais qui me parait appartenir à un autre corps.

J’essaie de comprendre et de ne pas paniquer, mais je ne vous cache pas que ce n’est pas évident, là, maintenant, tout de suite. Je me refais le film de mon existence, tente de remonter le torrent de mes souvenirs comme un saumon enragé, j’ai forcément loupé quelque chose. Je suis née quand ? Le 28 septembre 1996. J’ai donc 26 ans. Je suis une femme de 26 ans qui vit seule depuis sa majorité et j’ai une main robotique ! Comment cette information a bien pu m’échapper ? Je suis née en 1996 à Grasse. Je suis une femme de 26 ans originaire du sud de la France, j’ai grandit ici, j’ai toujours vécu à Mandelieu, je ne me souviens aucun déménagement, aucun voyage dans l’espace, aucun séjour dans un laboratoire, aucun événement particulier dans ma courte existence, à part quelques incidents/incendies de cuisine, cela s’entend. Je détache mon regard de cette main invraisemblable et me regarde dans le miroir de la salle de bain. Toujours la même. Toujours ces cheveux bruns bouclés qui me tombent sur les épaules, toujours ces yeux sombres, ce nez droit, cette bouche charnue. Toujours le même visage aux pommettes hautes et ce menton pointu. J’ai la même tête que d’habitude sauf que je ne suis pas – plus ?- la même depuis cinq minutes.

Je dois appeler ma mère. Elle va me prendre pour une folle c’est certain, mais elle est la seule qui va pouvoir m’aider. C’est ma mère, elle doit avoir une explication rationnelle. Ou au pire, elle m’emmènera aux urgences parce que je suis en plein délire psychotique.

Je replace le torchon ensanglanté (est-ce même du sang, du vrai ?) sur ma main, et me dirige dans le salon à la recherche de mon téléphone. Je compose le numéro de ma maman, je respire le plus calmement possible, profondément, inspiration, expiration, cinq secondes d’inspiration, sept secondes d’expiration… une sonnerie, deux, elle répond à la troisième.

« Comment ça va ma chérie ? me dit-elle enjouée.

– Maman, je viens de me couper en essayant de cuisiner des carottes.

– Ha ! La cuisine et toi, ça a toujours fait deux, mon chat ! Rien de grave, j’espère…?

– Alors, heu, comment dire… Tu ne vas sûrement pas me croire mais…

– Ha », m’arrête-t-elle. « je vois ». Elle soupire et ajoute : « Il fallait bien que ça arrive un jour…

– Comment ça ? Qu’est-ce que tu racontes ?

– Vas voir dans ton carnet de santé, il y a une enveloppe tout à la fin. Lis et tu comprendras.

– Quoi ? Maman ! C’est quoi cette histoire ? Maman ? Allo ? »

Elle a raccroché.

Mon carnet de santé se trouve dans un des cartons à paperasse que je range dans le placard de mon bureau. Enfin, « à paperasse », « à merdier » plutôt ! Je ne range jamais rien, je me contente de bourrer chaque nouvelle facture ou chaque nouveau courrier là-dedans depuis des années. Je finis par trouver le fameux carnet bleu foncé au fond d’une de ces boites, elle-même au fond du placard. Alors que je le feuillette, une enveloppe s’en échappe et tombe à mes pieds. Elle est estampillée « Thalès », « À ouvrir le jour où » est écrit en travers à l’encre bleue, en lettres d’imprimerie. Je la décachète, à l’intérieur, une lettre tapée à la machine sur du papier à en-tête au nom du géant de l’industrie technologique française.

« Bonjour,

Si vous lisez cette lettre c’est que vous êtes un modèle XB4000. Votre numéro d’identifiant est le XB4568. Les XB sont des robots androïdes féminins conçus exclusivement en région PACA, afin de pallier à l’exode des femmes indigènes des Alpes-Maritimes vers la capitale. Vous en êtes une représentante et nous sommes fiers de vous compter parmi la grande famille des XB.

Les XB sont dotés d’une mémoire virtuelle à expansion quantique, ce qui signifie que tous vos souvenirs, notamment ceux de la petite enfance, sont fictionnels et ont été conçus dans le but de vous permettre de mieux vous intégrer à votre environnement.

Ne paniquez pas. Nous sommes là pour vous accompagner dans cette nouvelle phase de votre existence.

Votre prochain rendez-vous de maintenance doit avoir lieu au plus tard sept (7) jours après la lecture de la présente lettre. Merci de composer le 0875.18.13.28 du lundi au dimanche de 8 heures à 22 heures pour prendre rendez-vous. Un(e) agent(e) du projet XB vous recevra afin de répondre à toutes vos questions, s’assurer du bon fonctionnement de vos softwares et hardwares ainsi que d’effectuer l’entretien de tous vos aspects mécaniques. Ne tardez plus ! Appelez-nous vite et prenez rendez-vous pour offrir un début parfait à votre nouvelle vie ! Thalès vous souhaite encore la bienvenue dans la grande famille XB et espère vous voir très bientôt.

Veuillez agréer, Madame XB, nos sincères salutations. »

Je suis abasourdie. Je n’arrive pas à y croire. Je, mon « je », mon moi intérieur, je ne suis qu’une fiction ? Mais alors, depuis quand j’existe ? Suis-je vraiment née quand je le crois ? Suis-je littéralement née d’hier ? Ma mère est-elle vraiment ma mère ? C’est quoi ce projet de remplacement, de repeuplement de la côte d’Azur par des femmes robots ? On dirait que cette histoire est sortie tout droit du cerveau d’un humoriste frappadingue avide de SF ! Ça n’est pas croyable !

Dans l’enveloppe, une fiche avec des pictogrammes expliquent où se trouvent des sortes d’interrupteurs. Apparemment à la base arrière de mon crâne, sur le haut de ma nuque, si j’appuie, une cache s’ouvre et laisse apparaître ces boutons qui servent, d’après ce que j’ai compris, à effectuer différents réglages mais surtout, à me redémarrer en « mode usine ». Si c’est comme pour les téléphones, ça m’intéresse bien plus que d’aller à leur rendez-vous à la con.

Je replace l’enveloppe et son contenu dans mon carnet de santé, que je range lui-même dans son carton au fond du placard. Je regarde une dernière fois l’intérieur de ma paume de main. Fascinant. Incroyable et pourtant réel. Je retourne dans la salle de bain me faire un solide pansement. Je nettoie la cuisine, cuits mes carottes vichy et les déguste avec un cordon bleu. Une fois la vaisselle lavée et rangée, je me mets sur le canapé et lance une série.

Je m’installe confortablement sous mon plaid favori.

Je caresse doucement mes cheveux à la base de ma nuque. Je sens quelque chose se détacher, une ouverture. De la pointe des doigts je sens deux boutons. La fiche disait qu’une pression de dix secondes sur les deux en même temps rétablirait les paramètres d’usine – j’imagine que je redeviendrai la même personne avec ses faux souvenirs, mais je crois que je préfère ça… pour le moment en tout cas. Peut-être que je me recouperai un jour, que je me briserai un os – enfin, un truc – ou que je ne me rendrai jamais compte de rien. Je ne sais pas mais je pense que je me préfère maladroite et imparfaite plutôt que robotique.

J’appuie.

10. 9. 8. 7. 6. 5. 4.

3.

2.

1.

Ça vibre.

.

.

.

.

Oh ! Je me suis encore endormie sur le canapé en regardant Black Mirror ! Quelle heure est-il ? 16 heures ! Bon, bah encore un dimanche bien occupé ! J’ai fais un de ces rêves encore… une histoire de robot ou un truc dans le genre… C’est flou, comme toujours… Je devrais peut-être songer à regarder autre chose comme série…Tiens, j’ai un pansement sur la main ? J’ai encore du me faire ça en essayant de cuisiner, je suis tellement maladroite !

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