Compulsion #21

Histoire d’époques

Un livre

Mille femmes blanches de Jim Fergus.

Une amie m’a offert ce roman pour Noël et maintenant que j’ai pris le temps de le lire, j’ai bien envie de vous en parler.

L’histoire est celle de May Dodd, une femme vivant dans l’Amérique du 19è siècle, peu après la guerre de Secession. Parce qu’elle a eu des enfants hors mariage avec l’homme dont elle était amoureuse, allant à l’encontre de la bienséance et des conventions imposées par sa famille et son rang, May a été internée de force dans un asile pour “soigner” sa dépravation à coup d’isolement et de violences “médicales”. Alors qu’elle meurt à petits feux de solitude et de tristesse, elle se voit proposer de participer à un contingent de mille femmes blanches – des prisonnières, des prostituées, des femmes internées dans des asiles, des anciennes esclaves, des veuves… en bref, des femmes dont la société ne veut plus – que le Gouvernement offre aux Cheyennes en échange de bisons et chevaux, pour entamer un rapprochement des peuples et ce, afin que les ‘“sauvages” découvrent la “culture blanche” et finissent par céder leurs terres aux colons qui les déciment depuis deux siècles.

Ces mille femmes s’engagent, en contrepartie, à tout quitter, leurs familles, leurs enfants, leurs vies pour s’unir aux autochtones, vivre avec eux pendant au moins deux ans et donner naissance à un enfant de race mixte pour avoir une chance de retrouver une forme de liberté et une place dans la société. La manœuvre du Gouvernement vise surtout à encourager les indigènes à se rendre volontairement dans les réserves qu’on leur assigne afin que les colons américains puissent étendre leur territoire plus à l’ouest et se gaver de l’or et du gibier dont regorgent les terres sans devoir se battre contre l’ennemi indigène.

On suit l’histoire de May et ses compagnes via des carnets que la jeune femme tient à partir de son départ, narrant les aventures qu’elle vit au sein de la nation Cheyenne avec ses amies. Du trajet en train depuis la côte est, à leur arrivée dans la tribu du chef Little Wolf, de la vie au sein de la tribu et au gré des saisons à la naissance de son enfant Wren, May nous embarque dans une exploration de l’Amérique du “Far West” bien moins glamour que ce que l’Histoire hollywoodienne a retenu.

Comme dans Ghostland, on découvre ici une histoire de l’Amérique (bien que romancée) très documentée notamment sur les sujets de l’esclavage, de la colonisation et de la considération des femmes et surtout plus sombre. Fergus part du point de vue de minorités de la population américaine (les femmes, les esclaves) pour accentuer l’horreur qu’ont subi les nations indigènes à l’arrivée des colons, devenues à leurs tour la minorité à abattre.

Loin d’être dans l’ambiance “Petite Maison dans la Prairie”, Mille Femmes Blanches nous montre une Amérique patriarcale, colonialiste, raciste et violente, prête à tout pour asseoir sa domination sur quiconque se met en travers de son chemin. Là où c’est bien joué, je trouve, c’est que plutôt que de créer une histoire où les gentils affrontent les méchants, Fergus a eu la présence d’esprit de construire des personnages multi-facettes. L’auteur nous montre des femmes qui ne sont pas simplement victimes de la folie des hommes mais qui jouent aussi un rôle dans cette folie par leur préjugés, leur extrémisme religieux ou leur lâcheté. Il ne présente pas des “natifs-peace-and-love-naïfs vivant en harmonie avec la nature que les colons sont venus déranger dans leur Eden mais des êtres complexes aux croyances et aux traditions difficiles à comprendre, violents eux aussi et faillibles lorsqu’ils se font appâter par les armes ou l’alcool des blancs.

L’épopée de ces mille femmes blanches dans les plaines de l’Amérique n’est pas qu’une découverte de beaux paysages et d’une culture indigène de laquelle on tire de nombreuses leçons, c’est un périple douloureux et cruel dans une époque qu’on aimerait réduire aux images des westerns ou des séries télés mais qui n’a pas fini de hanter le pays.

Attention, ce livre contient des scènes de violences et de viol, il n’est donc pas à mettre entre toutes les mains bien qu’il soit passionnant.

 

Une série

Our Flag Means Death sur HBO Max.

Taika Waititi en Barbe Noire qui tombe amoureux du Gentleman Pirate, Stede Bonnet, joué par Rhys Darby. Voilà, c’est tout, pas besoin d’en dire plus, normalement, vous avez tous·tes envie de regarder cette série et vous vous y attelez sur le champ.

Non ? Il faut que je vous en donne un peu plus ? D’accord, d’accord… !

Je viens donc de binger la première saison de cette merveilleuse série historico-comico-romantique, Our Flag Means Death et, si j’avais déjà été séduite au max par sa bande-annonce, j’en suis totalement raide dingue maintenant que je l’ai vue en entier et je n’ai qu’une hâte, c’est de voir la suite !

 

 

L’histoire est donc celle de Stede Bonnet, riche aristocrate ayant décidé de devenir pirate pour fuir la monotonie de son existence. À bord de son navire, le Revenge, Stede et son équipage de bras cassés tente de se livrer à une vie de piraterie de gentilhomme, une vie où l’on tue ses ennemis “à grand coup de gentillesse”, où l’on manie l’art du passif-agressif contre les nobles, et où, lorsque l’on ne va pas bien, ON EN DISCUTE TOUS ENSEMBLE !

Alors que la troupe navigue tant bien que mal vers son destin, elle croise le chemin du légendaire pirate Edward Teach. Stede et celui que l’on appelle Barbe Noire deviennent alors amis et bien plus, d’abord co-capitaines du bateau, de plus en plus heureux car amoureux.

L’humour décapent et absurde, servi par des dialogues gentiment anachroniques donne un petit côté Kaamelott-sur-Mer à la série. Les personnages sont tous attachants et complètement loufoques, et c’est si doux de voir des pirates aux grand cœur dans un univers habituellement fait de violence, de pillage et de rhum.

OFMD est d’une modernité rafraichissante dans l’univers de la fiction historique. Oui, on a notre lot de costumes, de beaux bateaux, de pirates bourrés pas très fins et de chasse au trésor mais on y traite aussi d’amour beaucoup, d’amitié, de loyauté, de vulnérabilité, d’envoyer bouler les conventions et les clichés du genre et de masculinité toxique, of course. Série LGBT+ de ouf avec son lot de romance gay (et pas juste de bromance pour faire rigoler), de personnage non-binaire, mais aussi de féministe et d’anti-conformiste, OFMD est un bonheur à regarder.

On se marre, on est pris par les intrigues, on adore voir les pirates les plus bancals des sept mers inventer le concept d’arnaque pyramidale en prenant l’identité d’un prince Égyptien pour dépouiller des nobles. On adore les voir coudre leur drapeau sur le pont du navire tout en discutant de la possibilité de se mutiner ou pas, mais y renoncer face au “management basé sur l’humain” pratiqué par le Capitaine Stede. On adore plus que tout voir l’amour naitre entre Stede et Barbe Noire et qu’à aucun moment cela ne soit questionné, tourné en ridicule ou ne serait-ce qu’un peu clandestin.

*SPOILERS JUSTE EN DESSOUS*

Lorsque l’on apprend que l’un des pirates, Jim, est en fait une personne appelée Bonifacia qui s’est déguisée en homme pour rejoindre l’équipage, cela ne choque pas plus que ça les autres membres de l’équipage, qui, bien qu’ils ne soient pas les pingouins qui glissent le plus loin, comprennent instantanément qu’iel souhaite conserver le nom Jim et son identité non-binaire et le·a mentionne par les pronoms they/them sans chouiner.

Et lorsque Stede annonce à sa femme Mary qu’il a rencontré l’amour et “qu’il s’appelle Ed”, cette dernière se contente simplement de le prendre dans ses bras et d’être heureuse pour lui, allant jusqu’à l’aider à simuler sa propre mort, elle qui n’avait jamais été aussi heureuse que depuis qu’elle pensait être veuve.

*FIN DES SPOILERS*

 

OFMD est une série qui fait du bien dans tous les sens du terme. On rit, on est ému·e, on aime avec les personnages et lorsque ça s’arrête on a du baume au cœur et l’envie que ça recommence.

Et que dire du casting qui nous sert tout cela sur un plateau ? Je vous ai dit qu’il y avait Taika Waititi dans le rôle de Barbe Noire ? Oui ? Bah je le redis : TAIKA WAITITI JOUE LE RÔLE DE BARBE NOIRE, avec des cheveux longs, une grosse barbe et des fringues en cuir (ça c’est pour la team kinky pirate et/ou la team Taika Waititi dont je faisais déjà partie depuis belle lurette) mais aussi avec tout son talent d’acteur qui sait aussi bien aller chercher dans la douceur et la vulnérabilité que dans l’humour ou la force. Mais il n’y a pas que lui, non ! J’ai retrouvé avec plaisir Nat Faxon que j’avais beaucoup aimé dans Friends from College (cœur sur cette série sous-côtée), Joel Fry (qu’on a vu récemment dans Cruella), Kristian Nairn (aka Hodor de Games of Throne) ou encore Ewen Bremmer (coucou c’est Spud de Trainspotting) ainsi qu’un flopée de rôles secondaires tenus par des stars de la comédie américaine comme Leslie Jones, Fred Amisen, Kristen Schall, Nick Froll, Kristen Johnston ou Will Arnet. Du côté des découvertes, big up à Vico Ortiz l’énigmatique pirate muet qu’on appelle Jim, Nathan Foad en scribe sarcastique à souhait nommé Lucius et Samba Schutte en cuistot mal fagoté appelé Roach, que j’ai trouvé tous les trois géniaux et très drôles.

Regardez cette série, vraiment, c’est un bonbon.

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