Do you wanna build a snowman ?
Une série
Inventing Anna, disponible sur Netflix.
Encore une fois, quand vous lirez ces mots, le train de la hype sur cette série aura certainement quitté la gare, mais je ne peux m’empêcher de partager mon coup de cœur récent pour cette histoire.
J’ai regardé Inventing Anna en quelques jours seulement – ça s’y prête bien, c’est une mini-série en 9 épisodes – et je suis sortie de l’expérience à la fois fascinée par le personnage d’Anna Delvey (réaction naturelle et attendue) mais aussi, très impressionnée par tout ce qui touche au story telling et qui est utilisé et/ou exposé dans la série.
C’est, d’ailleurs selon moi, le sujet principal de la série le story telling, l’art de raconter les histoires, qu’il s’agisse de la sienne, de celle de quelqu’un d’autre, d’une fiction de soi ou encore de se réinventer en se racontant – reclaiming the narrative comme disent les anglophones. Inventing Anna parle aussi beaucoup de la vérité : Qu’est-ce que la vérité ? Est-ce différent de sa vérité ? Qui détient la vérité vraie…? La série interroge ces concepts comme un devoir sur table de philo en terminale L et apporte des réponses, ou en tout cas, tente de montrer comment chacun·e s’approprie le concept à sa sauce pour s’en sortir – psychologiquement, moralement, socialement.
Inventing Anna est l’histoire, romancée à la Shonda Rhimes, d’Anna Sorokin alias Anna Delvey (interprétée par une Julia Garner bourrée de talent), une jeune femme qui a réussi à berner l’élite New-Yorkaise pendant plusieurs années en se faisant passer pour une riche héritière allemande. Elle a ainsi vu s’ouvrir les portes de clubs, de banques, de défilés de modes, hôtels de luxes et autres lieux VIP et a pu vivre sa meilleure vie de it girl. Anna avait pourtant un objectif et n’était pas là pour jouer les piques-assiettes (les parasites on les repère vite dans ce monde-là, voyons) : elle rêvait de créer sa fondation dédiée à l’art contemporain et son infiltration au cœur de l’élite de New York aurait servi à asseoir sa réputation pour bénéficier plus facilement de prêts auprès de grosses banques. La jeune femme a été arrêtée et condamnée à 12 ans de prison en 2019 pour escroquerie, grand banditisme et crime organisé.
Ce qui, à la base, aurait pu rester un fait divers interne à Manhattan et ne jamais dépasser les frontières de la ville a fini en série Netflix et ce, grâce/à cause de la volonté d’une femme de raconter son histoire (celle d’Anna mais aussi la sienne), de reclaimer sa narrative alors qu’elle était dans un bad trip professionnel, la journaliste Jessica Pressler – renommée Vivian Kent dans la série et jouée par Anna Chlumsky que j’ai eu plaisir à retrouver dans ce rôle après l’avoir adorée dans l’hilarante série Veep et avoir pleuré toutes les larmes de mon corps quand j’étais gosse, pour son rôle de Vera Sultenfuss dans My Girl.
Pressler était une journaliste en pleine ascension au sein de la rédaction du New York Magazine quand un article l’a faite tomber du piédestal sur lequel elle se trouvait – elle a interviewé un jeune homme qui aurait supposément gagné 72 millions de dollars grâce au trading et qui, après la publication de l’article, a avoué avoir tout inventé. Dégringolade pour Pressler qui passe alors pour une mauvaise journaliste et une affabulatrice prête à tout pour le clic et galère à se refaire suite à cette histoire.
Jusqu’à ce qu’elle tombe sur l’annonce du procès d’Anna Delvey et qu’elle décide de tenter de raconter Anna. Mais comment raconter une personne qui a menti à tout le monde, qui a embobiné le tout New York pendant des mois et des mois ?
Dans la série, on voit la journaliste traiter son sujet avec obsession (mûr de photos reliées entre elles par des ficelles à l’appui), enquêter auprès de tous les protagonistes possibles pour s’assurer de la véracité des propos qu’elle rapportera dans son article et se rendre à la prison de Rikers Island enceinte jusqu’aux yeux pour tenter d’obtenir la version d’Anna de sa propre histoire et surtout, la vérité. Mais on se rend vite compte qu’Anna, bien qu’elle ressente un profond besoin que l’on parle d’elle, d’être connue et reconnue, n’a pas vraiment envie de collaborer avec la journaliste. Elle oscille entre confessions et vérités à prendre avec des pincettes, indices mystérieux distribués au compte-goutte à la Hannibal Lecter et mutisme dédaigneux envers la journaliste lorsqu’elle ne lui apporte pas ce qu’elle veut (ses magazines, des sous-vêtements de luxe…). Anna veut à la fois rester un mystère et être exposée, baigner dans la lumière tout en gardant le contrôle sur la vérité. Anna n’acceptera que seule soit dite SA vérité. Le reste, la journaliste n’aura qu’à le chercher, quitte à traverser l’Atlantique pour aller enquêter en Allemagne à la recherche de la supposée richissime famille d’Anna.
Pour tenter de comprendre Anna, Pressler/Kent part à la rencontre des hommes et des femmes qui l’ont croisée et sont tombés dans ses filets : businessmen, socialites, startuper, créateur de mode, magnats de la finance… et qui parfois, sont devenus ses ami·es comme Neff (interprétée par Alexis Floyd – un de mes personnages préférés dans la série), Rachel (interprétée par Katie Lowes) et Kacy (interprétée par Laverne Cox), trois femmes qui partageront le destin d’Anna jusqu’à la fin.
Dans la série, tout est question de raconter son histoire et de dire sa vérité.
Il en va évidemment de même pour chaque personnage que l’on croisera et à qui sera consacré un épisode, en gros. On commence par rencontrer Val, créateur de mode en plein essor, qui avoue avoir été obsédé par Anna, son assurance, son allure de “vraie” riche (en opposition aux comportements des “nouveaux” riches que l’on méprise dans le New York de notre histoire), son côté langue de pute et son air blasé. Car si la vraie Anna a un talent, c’est celui de plaire à ses interlocuteurs, de les impressionner et de leur dire ce qu’ils ont envie d’entendre. La vérité de Val, c’est qu’au début, il n’a rien vu car elle correspondait à ce qu’il cherchait dans une amie et dans une femme de son milieu. Mais quand il a commencé à comprendre qui était Anna, quand le doute a frappé si fort qu’il était à deux doigts de la débusquer, elle l’a éjecté de son cercle – ce qui l’arrangeait bien car, comment admettre qu’on a été berné par une jeune femme de 25 ans sans passer pour un con et se griller ?
Cela se passera à peu près pareil pour toutes les personnes qu’elle rencontrera. Anna séduit, intrigue, intéresse, fascine. Elle rince beaucoup, flambe, ne lésine pas sur les dépenses. Et puis au moment de payer vraiment l’addition, quelque chose cloche et Anna s’envole vers d’autres cieux, disparait judicieusement à Los Angeles, Ibiza ou Miami pour, lorsqu’elle réapparait, faire comme si de rien n’était et prétendre qu’elle n’est qu’une incomprise dont tout le monde profite pour s’éclipser. La vérité de Val et de tous les autres, c’est qu’Anna leur a vendu du rêve alors qu’elleux nageaient déjà en plein dans celui qu’elle rêvait de toucher du doigt.
Au tout début de la série, on voit une scène dans laquelle Val et Nora (une autre femme victime des arnaques d’Anna Delvey) s’inquiètent du procès d’Anna mais surtout des répercutions que cela pourrait avoir pour eux. À la fin de l’épisode, ils jurent l’un et l’autre avoir refusé tout commentaire à la journaliste – le spectateur sait qu’il lui ont déjà parlé et qu’ils se mentent l’un l’autre pour ne pas perdre la face. Pourtant, le besoin de raconter LEUR vérité se fait plus fort et tous deux finissent par témoigner sous couvert d’anonymat, par raconter LEUR histoire pour être certain·e qu’elle ne leur échappe pas.
Reclaim the narrative before the narrative reclaims you.
De quoi ont-ielles peur ? De passer pour des cons ? (oui) D’être grillé·es dans leurs cercles d’ami·es influent·es ? (oui) De reconnaître qu’ielles ont fait preuve d’aveuglement face à une montagne d’argent supposée, qu’ielles ont été distrait par n’importe qu’elle objet brillant qu’Anna leur agitait sous le nez ? (oui).
Toutes les victimes d’Anna ont cela en commun : elles ont été aveuglées par l’idée de l’argent qu’avait Anna. Comme elle se comportait comme elleux, comme elle semblait connaître leurs codes, elle faisait partie de leur monde et elle n’était donc forcément pas mauvaise. L’argent inventé d’Anna a été son passeport vers le petit monde fermé de la riche élite New Yorkaise, lui donnant accès à encore plus d’argent mais aussi toujours plus de contacts qui la validaient autour d’elleux. Tu connais Untel ? Tu es validée par Unetelle. Et si Unetelle te valide, c’est maintenant Machin qui approuve et te présentera Bidule sans aucune méfiance. Ton pédigrée est assuré par une lignée de confiance, comme un NFT dans une blockchain1 : c’est basé sur pas grand chose mais si tout le monde est persuadé que c’est bon, c’est bon.
Everybody loves a good story
On aime tous·tes une bonne histoire et c’est pour cela que celle d’Anna Sorokin/Delvey a autant fasciné lors de la parution de l’article de Jessica Pressler et qu’elle fascine encore à la sortie de la série. Le story telling de Pressler ajouté à celui de Shonda Rhimes (qui a produit la série et même écrit certains épisodes) la rendent fascinante en posant les questions que tout le monde se pose, puis en essayant d’y répondre tout en soulevant encore plus d’autres questions.
Qui est-elle ? Comment en est-elle arrivée là ? Qu’est-ce qui l’a motivée ? Qu’est-ce qu’elle cachait ? Comment à-t-elle osé ? Comme la journaliste, nous sommes tenu·es en haleine au fur et à mesure des épisodes car nous avons envie de connaître Anna nous aussi. Nous aussi, Anna nous obsède, nous fascine par ses comportements, ses looks, son allure, son assurance ou son culot.
Comme Val, j’éprouve une certaine obsession pour le personnage d’Anna. C’est vrai, enfin ! Une nana de 25 ans qui réussit a berner les riches de New York, à se faire passer pour l’une d’entre elleux pendant des mois, à arnaquer des hôtels, des banques, des compagnies de jets privés… Comme Neff le dit dans un épisode (et que je paraphrase) “She hustles for her dream and I can respect that” (elle se démène pour son rêve et je respecte ça).
Je sais très pertinemment que je vais aller lire l’article (disponible sur le blog du New York Magazine – The Cut mais aussi en accès libre sur le site de Jessica Pressler) mais aussi, essayer de me procurer le livre écrit par la vraie Rachel “Mon amie Anna”. Je le reconnais, j’éprouve de la fascination pour les gens qui parviennent à arnaquer les riches. Ce petit côté Robin des Bois me les rend toujours un peu sympathique. On a bien plus de mal à aimer les arnaqueur·euses qui exploitent les personnes âgées ou les pauvres par exemple. Beaucoup moins de sympathie pour les call centers qui harcèlent les gens à propos de leurs CPF en ce moment que pour Anna2.
Cependant, Anna n’est pas non plus rendue sympathique dans la série. Froide, distance, manipulatrice, mythomane, méprisante, désagréable, abusive, les adjectifs négatifs pour la qualifier ne manquent pas et on a d’ailleurs du mal à comprendre pourquoi Neff reste son amie malgré tout, pourquoi Vivian s’obstine à tenter de lui donner la parole ou pourquoi son avocat s’acharne à vouloir la défendre de son mieux alors qu’elle lui fait vivre l’enfer.
Et puis, on avance dans l’histoire et on découvre à notre tour une (des ?) facette (s) d’Anna que les autres n’ont pas eu l’occasion de voir, au-delà de l’argent, de l’arnaque et des apparences. On apprend à la “connaître” et, sans excuser ses actes, on comprend. On sait de quel côté du tribunal on se serait assis·es. #TeamAnna
C’est tout le talent d’Anna et de cette histoire d’histoires.
Quand les choses sont dites puis racontées, quand la petite histoire d’une arnaqueuse devient l’histoire du rêve américain, de l’argent, de l’entre-soi, du racisme aux USA et en Europe, une réflexion sur notre époque et tout ce qui va ou ne va pas, un conte sur la rédemption, sur l’image, sur les apparences, on adhère, on écoute, on croit et on finit par comprendre Anna.
Je sais, je dis certainement n’importe quoi parce que je n’ai toujours pas compris exactement comment fonctionne la blockchain et les NFT, mais je sens que cette image n’est pas loin d’être bonne alors je la laisse. Je fais ce que je veux, c’est ma newsletter de toute façon !
Je reste mitigée pour ce qui concerne Elizabeth Homes, l’ex-fondatrice de Theranos qui a arnaqué des business angels de la Silicon Valley avec sa start up dont le produit n’a jamais fonctionné. Elle a joué avec la santé des gens et c’est principalement ça qui me chiffonne. Sa vie et son procès sont adaptés eux aussi dans une série qui sera diffusée par Disney + en France. Lisez à propos de Theranos et Elizabeth Holmes, Bad Blood de John Carreyou, c’est passionnant et édifiant sur le monde des start ups, des investisseurs et de la Silicon Valley en général. Dernier point si vous avez regardé la première saison de Space Force, allez revoir l’épisode 7 où le personnage d’Edison James est une parodie d’Elizabeth Holmes !