S’allonger.
S’installer confortablement, la tête bien callée sur l’oreiller.
Remonter la couverture.
Fermer les yeux.
Inspirer profondément.
Expirer.
Compter jusqu’à cinq.
Un,
Deux,
Trois,
Quatre,
Cinq.
J’appuis sur le bouton bleu tandis que je commence à compter et comme à chaque fois, je n’arrive pas à cinq. Je suis déjà partie.
***
Lorsque je me réveille, j’y suis. Le voyage a certainement duré plusieurs heures mais je ne suis pas fatiguée. Je me sens bien, fraîche, reposée.
Prête pour une nouvelle journée. A côté de moi, mon mari, Soltham, cet éternel beau gosse sri-lankais à la peau mate, que j’ai rencontré à la fac et qui, malgré les années et la quarantaine, se comporte comme le jeune homme que j’ai connu à l’époque : romantique, drôle, attentionné. Me réveiller chaque jour près de lui est un pur bonheur. Je l’embrasse et je sors du lit.
Se lever.
Se doucher.
S’habiller.
Prendre le petit déjeuner.
Terminer son café.
Inspirer profondément.
Expirer.
Partir au travail.
Encore une journée de folie qui m’attend ! J’occupe un poste de directrice artistique dans une agence de communication. J’ai des responsabilités, des gens sous mes ordres. Je créé, je décide, je donne l’orientation des événements, je fais les tendances. J’ai du pouvoir mais je n’en abuse pas. Je suis respectée.
Je regarde par la fenêtre. La lune brille encore, il est très tôt mais aujourd’hui je dois me dépêcher. Je sais que je ne dois pas être en retard. Aujourd’hui est une journée importante. J’enfile mon manteau et je sors.
Je suis dans les rues de New York, le New York des séries télé, du Central Perk et de Maman j’ai encore raté l’avion. Les rues sont pleines de monde, des taxis jaunes klaxonnent à qui mieux-mieux, des masses de piétons chevauchent les trottoirs, de la fumée sort d’une bouche d’égout, les billboards gigantesques clignotent et flashent. Sorties cinéma, séries, shows, concerts, prochain spectacle à Broadway, les images s’enchainent et m’hypnotisent. Vais-je m’en lasser un jour ? Je ne pense pas. J’ai tellement rêvé d’habiter ici, de fouler les pavés de la Big Apple, que chaque jour que j’y passe est un émerveillement pour la petite française provinciale qui dort au fond de moi.
Je ne prends pas le métro ce matin, je prends un taxi. Je suis à New York, non ? Et puis, pour faire Union Street to Manhattan, j’en n’ai pas pour si longtemps à cette heure-ci. Je hèle un yellow cab à deux blocks de chez moi et je monte.
Je reconnais immédiatement le chauffeur. Ce n’est pas la première fois que je tente l’expérience du taxi et c’est souvent sur lui que je tombe. Il s’appelle Fernando et ressemble à s’y méprendre à Matt Leblanc, de la série Friends. Il me salue « Hey, how you doin' », je pouffe de rire en entendant presque les rires enregistrés en fond mais il ne m’en tient pas rigueur. Il sait que ça me fait ça à chaque fois.
– Lower Manhattan, au 195 Broadway. Comme d’habitude, j’ajoute avec un clin d’œil.
– Okay, Madam’, let’s go ! répond Fernando.
Nous remontons plutôt tranquillement de Brooklyn vers le nord de la ville. J’ai la chance de travailler dans le sud de Manhattan et même si ce n’est pas à côté de Central Park comme je l’aurais aimé, ce n’est pas très loin de chez moi – à peine le Brooklyn Bridge à passer et j’y suis !
S’asseoir dans le taxi.
S’attacher.
Parler un peu avec le chauffeur.
Regarder par la fenêtre.
Compter les gratte-ciel.
En prendre plein la vue.
Inspirer profondément.
Expirer.
Arriver au travail.
Fernando me dépose comme toujours devant la porte de mon boulot. Je le paye, lui laisse un pourboire généreux, j’en ai les moyens, et le regarde partir vers d’autres courses.
Je sors mon badge de la poche de mon sac à main, le montre au personnel de l’accueil et franchis le portique sans encombre. Je me dirige vers l’un des gros ascenseurs de l’immeuble et appuie sur le bouton. Mon agence se trouve au 93ème étage, j’en ai pour quelques minutes avant d’y être mais j’ai l’habitude. Moi qui souffre d’un vertige quasi-maladif et qui suis incapable de me tenir debout sur une chaise sans avoir la frousse, je ne me serai jamais crue capable de venir travailler ici. Mais le jeu en vaut la chandelle et même si une boule de stress me gratte le ventre à chaque voyage, je sais qu’il ne m’arrivera rien de grave dans l’ascenseur.
Lorsque la porte s’ouvre, je suis toujours aussi émerveillée par la vue. Les énormes baies vitrées de l’agence nous laissent voir bien au-delà des limites de l’Etat et c’est à couper le souffle. Des kilomètres et des kilomètres de buildings, l’horizon au loin, on devinerait presque la côte Bretonne les jours de beau temps…
Mais pas le temps de trainer, je dois aller poser mes affaires dans mon bureau et aller me chercher mon café sinon je n’aurai jamais le temps. Aujourd’hui est une journée importante.
Rejoindre son bureau.
Poser ses affaires.
Démarrer le PC.
Windows XP.
Aller chercher un café dans la cuisine.
Saluer quelques collègues.
Inspirer profondément.
Expirer.
Boire une gorgée de café.
Je suis dans mon bureau et je finis de répondre au premier coup de fil de la journée. Il est 8h30 et dans quelques minutes, c’est mon moment. Ce pour quoi je me suis levée si tôt. Ce pour quoi je me suis couchée si tard.
Je me lève de ma chaise. Je prends ma tasse avec moi, un gros mug « I <3 NY » comme on en trouve dans tous les magasins de souvenirs de la ville que je file remplir d’un second café. Le stress commence à monter. C’est toujours la même chose. J’arrive à rester sereine les premières heures, mais plus le moment approche, plus je suis excitée. Plus que des papillons dans le ventre, j’ai le cœur qui tambourine dans la poitrine.
Aujourd’hui est une journée importante. Hors du commun. Une véritable expérience.
8h39. Je reprends une gorgée de mon café brûlant. Cette fois-ci, je me suis postée devant la baie vitrée. Je contemple la ville, admire l’horizon et soudain, au loin, j’aperçois l’avion.
8h46, c’est l’heure. Je suis au 93è étage de la tour Nord du World Trade Center le 11 septembre 2001. Et je suis aux premières loges quand tout explose.
***
« A chaque fois c’est pareil, je me réveille en sursaut mais quelques secondes plus tard, je sens une montée d’adrénaline immense. J’oscille quelques instants entre panique et euphorie, entre hilarité et hystérie mais je réalise bien vite que tout cela n’était qu’un rêve. Mon rêve. Celui que j’ai choisis dans mon appli iDream.
Au début, quand l’appli est sortie, j’ai évidemment été séduite par l’idée de pouvoir choisir son rêve mais j’avais des doutes sur le fait que ça fonctionne. Mais en bonne early adopter, je l’ai installée dès la version beta et je l’ai rapidement adorée. Les premières fois, je n’ai pas osé tester la catégorie « Frissons ». Je ne me sentais pas d’aller me programmer un cauchemar. J’optais plutôt pour les romances, la science-fiction, les voyages aussi. Quoi de mieux que de visiter un pays en quelques minutes pendant son sommeil en ayant la sensation d’y avoir passé des mois ? C’est génial ! Et que dire de la catégorie « Coquine » ! Sensationnelle !
Et puis, un jour la curiosité l’a emportée. Je voyais les commentaires d’autres utilisateurs qui n’en disaient que du bien alors je suis allée browser dans la catégorie « Frissons ». Zombies, tueurs en séries, fantômes, requins…il y en avait pour tous les goûts. C’était génial ! Flippant mais génial ! On peut se mettre dans des situations plus folles les unes que les autres mais on ne risque rien ! Repousser ses limites sans risquer quoi que ce soit, LE rêve si j’ose dire ! Pas étonnant qu’iDream soit rapidement devenue la coqueluche des amateurs de sports extrêmes, des fans de films d’horreur et autres fétichistes en tout genre !
Et puis les créateurs de l’appli sont allés encore plus loin en modélisant les grands événements historiques contemporains. Guerres, attentats, accidents nucléaires, accidents de trains…les cauchemars prennent maintenant une autre dimension, celle de la simulation.
Alors il y a ceux qui disent que c’est glauque, malsain, cruel et j’en passe mais ils ont l’air d’avoir oublié un truc ces rabats joies, c’est que sans leur iDream, ils rêvent de quoi ? Leur inconscient n’est pas plus « sain » que mes rêves à la demande, mais au moins, moi, je choisis ce que je vois !
Et je mets 5 étoiles à iDream évidemment ! »
Commentaire publié le 24 avril 2142 à 9h57 par CléCléXB4012
Photo par Wojtek Witkowski sur Unsplash