Insert disc. Press Play.
Welcome. To. Ameri. Cana. Please. Make. Your. Selection. Followed. by. The. Pound. Sign. Now.
Tu connais cette intro, toi aussi. Tu sais que derrière, il y a quelques riffs de guitares, la batterie qui accélère petit à petit puis « Faaaaaliiing, I’m faaaaaliiing » chanté par la voix de Dexter Holland. Bienvenue dans Americana, le cinquième album du groupe de punk californien The Offspring.
Maybe life is like a ride on a freeway
Nous sommes en 1998, la France est championne du Monde de football grâce à Zinedine ‘Zizou‘ Zidane, je suis au Collège de l’Immaculée Conception d’Aubenas en Ardèche, où je redouble ma troisième dans le privé pour que je fasse moins de conneries que dans le public et un jour, je ne sais quel·le pote me donne le Graal : une cassette avec Americana de The Offspring enregistrée dessus. Ou peut-être que j’arrive à l’emprunter à la médiathèque et que je l’enregistre moi-même, sur la chaîne hi-fi de mon frère parce que moi je n’avais encore qu’un petit poste qui faisait juste Radio/CD mais pas Radio/CD ET cassette ? Je ne sais plus, mais en tout cas, j’ai ENFIN le dernier album de The Offspring et je vais littéralement le poncer pendant des mois et des mois et des mois et des mois.
Jusqu’alors, dans ma vie, le rock, c’est Nirvana, quelques bribes de morceaux de groupes à droite à gauche comme Blur, Bon Jovi, la Mano Negra ou Dolly et le black métal de Cradle of Filth et du CD sampler du hors-séries « Black Métal » de Hard Rock magazine (ou un autre de ses concurrents, je ne sais plus) que j’ai réussi à me procurer. The Offspring, je connais évidemment de nom et de réputation, je me souviens qu’à l’époque où Skyrock passait encore du rock, ils avaient utilisé le riff de Come out and play pour leur pub télé et que j’avais trouvé ça hyper cool. Je sais que c’est du punk parce que j’en écoute parfois quand je vais dormir chez mes copines, surtout du punk français (Les Wampas, Les Shériff, Ludwig von 88…) mais je n’ai jamais écouté d’album du groupe (ou brièvement quand je réussis à en choper un à la médiathèque ou pendant une soirée pyjama). En revanche, je sais que celui-là, il FAUT que je l’écoute. Tout le monde en parle, tout le monde l’attend avec impatience depuis, Smash, l’album qui a vu le groupe propulsé au rang de super stars en 1994 et même s’ils ont publié un album entre temps, on dit qu’Americana sera celui du retour du groupe – groupe qui n’était jamais vraiment parti mais apparemment, il fallait qu’il revienne sur le devant de la scène grand public. Et, on va pas se mentir, avec Americana, ils le font.
À la rentrée de septembre 1998, après un été à découvrir le black métal et à célébrer la victoire de la France au foot, donc, je commence ma seconde troisième dans un nouvel établissement, privé et catholique. J’ai beau être déstabilisée par ce changement dans ma vie, je l’accueille avec une grande joie parce que je peux ENFIN me renouveler après avoir été le souffre-douleur d’une fille membre mon groupe de « copines » pendant des années. Je peux enfin être moi, Leeloo (je gagnai ce surnom cette année-là d’ailleurs, encore merci Isabelle <3), je peux enfin être un peu bizarre, je peux enfin ne plus être « la fille qui a sauté une classe et qui a donc un an de moins que tout le monde, ouh, le gros bébé » , je peux enfin respirer au collège, un lieu qui jusqu’alors m’avait collé des douleurs d’estomac tous les matins, du mal à respirer 90% du temps et le sentiment de ne jamais être comme il fallait.
Petite nouvelle dans ma classe (mais pas la seule), je me lie rapidement avec deux filles qui se connaissent des années précédentes et qui arborent leurs meilleurs t-shirts de groupes de métal. C’est elles qui me feront découvrir Marilyn Manson, Korn, Faith No More, Limp Bizkit, Suicidal Tendencies, Rammstein et j’en passe. Ce sont ces deux nanas, et surtout Isabelle qui avait un grand frère lui aussi passionné de rock et de métal, qui m’ont vraiment ouvert les yeux sur la grandeur de cette musique et m’ont fait prendre conscience qu’elle avait un passé et une histoire incroyables. Et c’est donc avec elles et mes autres camarades de collège un peu punk/rock – pas de rivalités, seul un amour commun pour la musique – que nous découvrons cet album cette année-là.
Évidemment, c’est un grand oui pour nous tous.
Pretty fly for some white guys
The Offspring est à la hauteur de nos attentes avec cet album où s’alternent tubes entrainants hyper mainstream et hymnes punk énervés comme on les aime. L’album est soutenu à sa sortie par le single Pretty Fly (for a White Guy) avec son clip hilarant et ses scène à mourir de rire. Ce genre de clip deviendra d’ailleurs la signature du groupe pour les albums qui suivront, après une tradition de clips plus punk-underground-noir & blanc-sépia-négatif-montage d’images randoms-pogos. Pretty Fly devient instantanément un tube international qu’on entendra encore pendant 25 ans (et au-delà) en radio. Je le retrouve d’ailleurs dans mes enregistrements nocturnes de Total Metal ou de clips de fin de soirée sur M6 ou MTV. Tout le monde chantonne « Give it to me, baby, uh huh, uh huh », on apprend tous à compter jusqu’à six en espagnol grâce au « uno dos tres cuatro cinco cinco seis » (je fais partie de la team Allemand LV2, je te le rappelle), c’est un véritable phénomène que cet album.
Leur son est moins punk « sale » que celui de Smash et d’Ixnay on the Hombre mais bien plus californien : il sent le skateboard, la bière légère servie en gros fut pendant une soirée de fraternité et la weed. Americana dégage un tel air de Californie que c’est comme si je parvenais à le respirer depuis ma petite ville du sud de la France. J’ai beau n’avoir que 14 ans et demi bientôt 15, je me sens emportée dans les histoires racontées dans cet album comme si j’avais une espèce d’idée de ce que ça faisait d’avoir un de ces potes qui part en prison, une voisine morte d’une overdose ou l’envie de chambrer un poseur qui est, malgré tous ses efforts, toujours à côté de la plaque.
Les morceaux sont aussi, pour la plupart, plus légers dans les thèmes qu’ils abordent même s’ils continuent de raconter des histoires pas très fun : prison, problèmes d’argent, suicide, drogue, vies de merde…on a quand même un bel échantillon de ce que peut être la vraie vie en Californie, très loin des fantasmes que nous envoient les séries américaines depuis des décennies à l’époque. Americana c’est vraiment un condensé de ce que peut être la vie des not rich and famous, des gens normaux, comme pour nous dire qu’il existe un monde en dehors de Beverly Hills 90210 et d’Hollywood et nous confirmer qu’il est aussi nase que le notre. Mais ce qui caractérise cet album, c’est son humour. En faisant de Pretty Fly son premier single, les Offsrping nous montrent que le punk californien, c’est pas le punk de la côte est, c’est pas les Ramones (qui savent être funs eux aussi, j’en suis sûre même si je connais moins leur discographie), c’est pas Patti Smith, c’est moins vindicatif, c’est moins la lutte finale le poing en l’air. Le punk californien, il sent le soleil, l’asphalte brûlante de Rodeo Drive, le sable et le sel des plages de Venice Beach et la beuh des hippies qui ont réussi à survivre aux années 80 sans se noyer dans le PCP ou l’héroïne. Le punk californien il hésite pas à s’acoquiner avec le Ska. Le punk californien est désinvolte quand le punk anglais ou celui de la côte Est est politique. Le punk californien dit « Fuck that shit » quand le punk anglais dégueule « No Future ».
The kids aren’t allright, second single qui fera la promo de l’album est un de ces morceaux qui abordent un sujet grave et son clip était à l’époque une petite prouesse d’effets spéciaux où les différents protagonistes étaient morphés ensembles dans un joyeux bordel sur fond d’écran vert . Mais pas de panique, la légèreté de mise sera rétablie avec le troisième single qui n’est même pas un morceau rock (j’ai décidé que pour que quelque chose soit « rock » il fallait une guitare électrique et on en n’entend pas une dans ce morceau), Why don’t you get a job ?. Morceau tout aussi culte que l’on entend au moins encore une fois par semaine sur les ondes FM.
Mais il n’y a pas que des tubes dans cet album, il y a aussi des morceaux moins mainstream mais tout aussi excellents. Une cover de Feelings modifiée à la sauce Offspring, saupoudrée de rage et de haine, les morceaux d’ouverture Have you Ever et Staring at the Sun, que j’aime beaucoup. Et puis, il y a l’enchainement d’Americana et Pay The Man, qui clôture l’album avec brio, passant d’un véritable hymne punk anti-américain à un morceau en deux parties de huit (8) minutes (une éternité pour un album de punk où les morceaux sont généralement très courts) où la guitare de Noodles se pare de sonorités orientalisantes et où l’on a l’impression d’entendre l’intro au sitar de Paint it Black des Rolling Stones version ’98. Les cinq premières minutes du morceau, on a la sensation d’être dans l’album d’un autre groupe tant les sonorités sont inhabituelles (j’apprends à l’instant, en farfouillant en ligne, que le morceau devait apparaitre sur Ixnay mais avait été mis de côté car il divergeait trop du son du groupe) puis, le rythme change, le ton change et arrive enfin Dexter avec sa voix de chaton énervé et ses copains Noodles et Greg K. pour transformer ce trip au LSD en chanson de lutte contre les chaines de « the man », aka, l’autorité, le gouvernement, le pouvoir en général. J’adore ce morceau et je ne me lassais pas de l’écouter sur ma cassette (où je n’avais pas le morceau caché – la reprise de Pretty Fly en version mariachis, que j’ai découvert plus tard en mettant la main sur le CD). Moi, mon bonus track, c’était une chanson ajoutée, juste pour le plaisir, par la personne qui avait fait cette cassette : Come out and play, extrait de Smash parce que ça restait, et ça reste encore aujourd’hui, LE titre d’Offspring par excellence.
So nineties
Le plus cool, c’est que comme l’album ne dure « que » 42 minutes, il tenait sur une seule face d’une cassette audio et que j’ai pu enregistrer autre chose sur la seconde face. Ne me demande pas quoi, je ne sais plus ! Si, je crois que c’était un genre de mixtape de l’autre côté, avec un peu de tout, genre With or Without You de U2, des titres de la Mano, des trucs enregistrés à la radio… Je m’en souviens parce que je me revois écouter très fort Americana pour évacuer ma rage contre le mec dont j’étais amoureuse et qui ne me calculait pas, avant de chouiner en entendant With or Without You, comme si je comprenais quelque chose à l’amour ou aux paroles de la chanson…! J’adorais me faire des cassettes de « Compil' » avec tous les morceaux que j’avais envie d’écouter en boucle, ou des heures d’épisodes des Deux Minutes du Peuple entrecoupées de quelques chansons. Je dois encore avoir mon stock dans le garage chez ma mère, il faut vraiment que je mette la main dessus ! Je suis sûre qu’il y a des perles rares qui donneront naissance à de beaux #TBT.
Après Americana, le virage d’Offspring dans les années 2000 a transformé le son du groupe en quelque chose de bien trop fun et donc, de bien moins punk et de bien trop californien. Trop de pouet-pouet dans les morceaux, trop de boites à rythmes troquées contre les batteries. Pour moi, le groupe que j’appelais Offspring est devenu The Offspring, presque la même chose mais pas tout à fait pareil, et a changé de direction. Une direction où je n’avais pas envie de les suivre. Cela ne m’a évidemment pas empêchée d’aller les voir en concert dès que possible – pour la tournée de l’album Splinter – et de passer un excellent moment en compagnie de Dexter et ses copains californiens. Même si du haut de mes 19 ou 20 ans, j’avais l’impression d’être une daronne dans la fosse qui était remplie d’ados de 12-14 ans.
Malgré la suite qu’a prise la carrière du groupe, je reste tout de même une grande fan de leurs premiers albums.
Oui, je suis une vieille conne qui dit que c’était mieux avant, même si l’avant elle l’a connue qu’après.