Je suis en quatrième ou peut-être en troisième, au Collège Gustave Monod, je suis en cours dans la salle techno, avec monsieur Petit et toute ma classe, et nous travaillons sur des circuits électriques, avec des fers à souder, pour fabriquer la carte mère de notre futur sonnette de chambre, dont nous allons par la suite mouler le boitier dans du gros plastique. Ou alors c’était peut-être l’année où nous avons construit une mini-enceinte personnalisée en bois ? Bref, on est là, avec notre époxy, nos petits bidules qu’il faut souder sur le circuit imprimé et soudain, j’entends des camarades au fond de la classe parler de Louise Attaque. Je ne me souviens pas exactement de leur propos, mais grosso modo, c’était que c’était super, que l’un d’entre eux les avait découvert pendant ses vacances en Bretagne (à cause de ça j’ai longtemps cru que le groupe était breton) et que c’était vraiment trop cool. Je me suis donc mise en tête de découvrir et d’aimer Louise Attaque, chose qui m’a été plutôt facile vu que le groupe et son premier album ont rencontré un succès exceptionnel et sont absolument partout, surtout en radio, avec le titre « J’t’emmène au vent ».
Je suis maintenant sur une place de village en Ardèche pendant les vacances d’été. Il y a une vogue et un DJ est là pour animer la soirée, qui tourne autour de concours de pétanque, de divers stands de jeux de fête foraine, de quelques stands de sandwich et d’une incontournable buvette. Personne ne danse encore trop, il est tôt, le DJ passe les morceaux dansants pour les anciens, ça danse un peu le tango, le paso doble, le chacha puis le madison commence à faire se rejoindre les générations. Soudain, la nuit commence à tomber et on sait que ça va être le moment où l’ambiance va décoller. Le DJ, en bon professionnel de la fête, a préparé ses meilleurs tubes de l’été et dégaine progressivement Alane, la Macarena avant d’appuyer sur lecture et que l’on entende les violons puis la voix de Gaëtan Roussel qui nous dit Allez viens j’t’emmène au vent. Instantanément, la place se remplit, la poussière décolle, la sueur coule et tout le monde danse et scande à tue-tête que je voudrais que tu te rappelles notre amour est éternel et pas artificiel. Et ça se prend bras dessus bras dessous, et ça tourne et ça virevolte et ça saute et ça chante fort fort fort jusqu’à la toute fin de ce morceau qui arrive bien trop vite, où tout le monde applaudit et reprend son souffle après trois minutes intenses de communion dans la fête et la musique.
La puissance de l’unplugged
Louise Attaque fait figure un peu d’ovni dans mes oreilles de jeune adolescente, parce que c’est la première fois que j’écoute un groupe « unplugged » (en dehors de l’album culte de Nirvana), français qui plus est, qui a pourtant une puissance et une énergie aussi importants qu’un groupe de rock. Je ne suis pas encore branchée folk, je ne connais rien aux « musiques actuelles » de ces années-là, je n’avais pas encore entendu parler des Têtes Raides ou de la Rue Kétanou, dans mes oreilles habituellement, c’est Nirvana, du punk français et les trucs qui passent à la radio, généralement du pop rock ou de la dance. Alors quand débarque ce groupe dont les accompagnements sont « nus », bruts, simplement faits de violons, de batterie et d’un peu de basse, je suis époustouflée. J’ai l’habitude de la dance, du rock, du rap, mais pas de ça. Quand j’arrive à avoir l’album, l’année de ma deuxième troisième, copié sur cassette évidemment, je me le passe en boucle jusqu’à connaître par cœur tous les morceaux, lors des trajets en voiture entre ma maison et mon collège.
La manière de chanter de Gaëtan Roussel, avec son accent de Rodez, son scander à la Brel et les paroles mystérieuses et poétiques de certains morceaux m’inspirent beaucoup de joie et à la fois beaucoup de mélancolie. Je suis un peu perdue, je ne sais pas si j’écoute de la pop, du rock, de la chanson française… je ne sais pas si c’est subversif, profond ou léger, mais j’aime beaucoup. J’ai l’impression d’être dans des poèmes, d’entendre des histoires dont je ne comprends pas tous les tenants et aboutissants, mais dont j’ai l’impression de percevoir l’essentiel. J’écoute des sentiments. Le dénuement de la musique me permet de me concentrer sur les paroles, de m’amuser de l’utilisation des mots. Quant au violon qui n’est pas un instrument qui m’est familier, je découvre ici qu’il est capable de me transporter comme la meilleure des guitares, qu’il est capable de produire des solos tout aussi puissants que la gratte de n’importe quel rockeur.
J’avais l’habitude du bruit et je découvre avec Louise Attaque que le silence, le peu, peut être aussi vecteur d’émotions, des émotions fortes comme j’ai pu en vivre des années après, en écoutant Amanda Palmer seule avec sa voix face son piano.
En écoutant ce premier album de Louise Attaque, je prends beaucoup de plaisir à imaginer la tronche de Léa, qu’est pas terroriste ni anti-terroriste mais putain qu’est-ce qu’elle est chiante. Je comprends parfaitement le sens d’Arrache-moi, de cet amour de la douleur et de la douleur de l’amour, moi qui ne connait encore rien à l’amour avec un grand A du haut de mes 14 ans. Je retrouve le Brel que ma mère m’a fait écouter durant toute mon enfance dans « Vous avez l’heure », et j’ai l’impression que quand Roussel me demande l’heure, il va me dire qu’il avait aussi apporté des bonbons parce que c’est mieux que les fleurs parce que les fleurs c’est périssable. J’imagine des Nuits Parisiennes que je ne connaitrai vraiment jamais, je me mets à la place de la fille dont il a accepté par erreur L’Invitation et ça me fait de la peine pour elle, mais surtout, surtout, je me laisse emmener au vent, emportée par le souffle de ces violons qui m’avaient poussée à danser comme une folle lors de cette vogue un soir d’été et qui me fera danser encore et encore à chaque fois que je les entendrai.
Bizarrement, je n’ai pas écouté les albums suivants de Louise Attaque, seulement les singles qui passaient en radio. Je crois que j’avais figé le groupe dans cet album et que je ne voulais pas les entendre évoluer. Même si « Tu dis rien », un des singles du second album du groupe, « Comme on a dit » reste dans la même veine, les arrangements plus travaillés, moins bruts que le premier album m’ont probablement donné le sentiment que ça avait un peu changé. Et puis, l’album, sorti trois ans après le premier arrivait peut-être un peu tard dans ma vie musicale, j’étais passée à autre chose, je découvrais Korn, Manson et compagnie, je n’avais pas la place pour les violons, j’étais trop accro aux guitares électriques.
Pourtant je garde toujours une place pour ce premier album dans mon cœur, je reste une grande admiratrice des paroles de leurs chansons, de leur douceur, de leur poésie. Je pense qu’ils ont ouvert la voie dans ma discothèque à d’autres groupes et artistes francophones que j’ai un peu écouté par la suite comme Dionysos, Bénabar, La Rue Kétanou, Têtes Raides, Mano Solo, Renan Luce… C’est marrant, mais j’associe toujours Louise Attaque au concert Avis de K.O. Social auquel j’ai assisté à Lyon en 2003, alors qu’ils n’y étaient pas (dans mes souvenirs mais j’avoue qu’ils sont plutôt très très flous vu ma consommation élevée de la soirée). J’ai un souvenir (probablement inventé, vraiment je ne suis pas sûre de moi) d’une rumeur qui disait que Louise Attaque serait là en invité surprise. Je suis un peu dégoûtée d’ailleurs, de n’avoir que si peu de souvenir de ce concert hormis un sentiment de grande joie et de joyeux bordel avec beaucoup de fumée de pétard dans l’air et des dread locks tous les deux mètres. Mais ça c’est une autre histoire, une histoire de soirée Lyonnaise, mon équivalent des soirées parisiennes.
Je te raconterai un jour, peut-être, quand je me souviendrai mieux. Mais finalement, ça ressemblait un peu à une vogue sur la place d’un village d’Ardèche en plein milieu des vacances d’été.
C’est peut-être pour ça que je continue d’associer les deux.