Multi-leveled fuckedup-ness
Un documentaire
Seduced : inside the NXIVM cult sur Starzplay (Canal +)
India Oxenberg avait tout pour passer une vie tranquille : un mère actrice qui avait connu la gloire (et la fortune) dans les 80’s, une grand-mère issue de la famille royale Yougoslave, une famille recomposée mais aimante… et pourtant, elle s’est retrouvée complètement happée dans une secte particulièrement vicieuse (quelle secte ne l’est pas, en vrai ?) pendant des années. C’est son histoire et à travers elle, celle de milliers de personnes abusées par NXIVM, qui est racontée dans le documentaire en quatre parties “Seduced : inside the NXIVM cult”.
NXIVM, à la base, était une organisation de “développement personnel” pyramidale, qui proposait aux gens, contre de belles grosses sommes d’argent, des séminaires pour améliorer leurs vies professionnelles et personnelles, appelés “Executive Success Program”. Une fois embarqués dans ces programmes, les “coachs” faisaient ensuite tout pour vous faire suivre encore plus de programmes, contre encore plus d’argent, mais aussi, vous recruter pour que vous même, vous recrutiez d’autres personnes, etc… Avec NXIVM, le délire MLM/pyramidal est devenu encore plus glauque et très dangereux, à cause de son fondateur, Keith Raniere et son associée, Nancy Salzman.
Outre le fait de faire payer des sommes faramineuses aux gens pour suivre des “formations” bullshit, Raniere a exercé une emprise financière et sexuelle sur des centaines de femmes, par le biais de son organisation. À force de séminaires qui leurs lavaient littéralement le cerveau avec ses idées foireuses (“La douleur est amour”, “Vous êtes responsable de ce qui vous arrive”, “Si quelque chose vous met mal à l’aise, le problème vient de vous”), ainsi que des concepts de pénitence et des dépôts de garanties pour vous forcer à respecter vos engagements, il est parvenu à en faire des esclaves sexuelles qu’il tenait par du chantage et qu’il faisait marquer au fer rouge de ses initiales.
India Oxenberg a été une de ces femmes et le documentaire raconte comment elle s’est retrouvée sous l’emprise totale de Keith Raniere. D’une jeune fille un peu vulnérable qui se cherchait à ses 19 ans, India est devenue membre actif de la secte sans jamais se rendre compte de ce qu’elle subissait : travail non-rémunéré, pressions, chantage, privations, extorsion, éloignement de sa famille… De 2011 à 2018, India est passée par tous les mécanismes de l’emprise jusqu’à devenir esclave sexuelle du gourou et elle-même marquée au fer. C’est sous les pressions de sa mère, l’actrice Catherine Oxenberg, qui a rendu publique l’histoire de sa fille pour la faire sortir de la secte, que le FBI a enfin commencé à enquêter sur Raniere et NXIVM.
La bonne nouvelle c’est que Raniere a été condamné par la justice américaine à 120 ans de prison, la mauvaise, c’est que des Raniere, il y en a encore beaucoup dans le monde.
Ce que montre ce documentaire, c’est à quel point les mécanismes de l’emprise sont insidieux. On vous vendra toujours l’objectif de “vous améliorer”, de “devenir la meilleure version de vous-même”… pour “au mieux”, vous extorquer de l’argent au pire, vous réduire à l’état d’esclave.
J’ai la chance de ne jamais avoir été sous l’emprise d’une secte, cependant, j’ai vécu une forme d’emprise avec une entreprise de multi-level marketing, qui m’a coûté beaucoup d’argent et une partie de ma santé mentale.
Il y a quelques années, j’étais très mal dans ma peau et je cherchais à perdre du poids car je pensais que mon mal-être venait de là. Une de mes contacts sur Facebook était “coach” pour une marque de compléments alimentaires et je me suis tournée vers elle pour m’aider. Au début, c’était chouette : je perdais du poids grâce aux produits, même si ça coûtait un peu cher, je m’étais remise au sport et physiquement je me sentais mieux. Malgré tout, j’étais toujours aussi malheureuse, je ne me trouvais pas assez bien, je relâchais régulièrement mes efforts et culpabilisais beaucoup…
Mais heureusement, la coach, en plus de nous aider avec du sport et de l’alimentation, nous proposait aussi son aide pour le “mindset”. Elle nous parlait souvent de “loi de l’attraction” (elle participait à des séminaires Abraham Hicks aux USA où elle habitait à l’époque), nous expliquait comment nous avions en nous la force de réussir si on y croyait vraiment, qu’il fallait développer des routines pour être certaines de garder le contrôle de notre poids et par conséquent de nos vies… Elle mélangeait les messages prônant l’acceptation de soi tout en étant dans le contrôle frénétique de notre alimentation et de notre activité physique. C’était assez déroutant mais j’avalais la soupe sans rechigner parce que je voulais aller mieux et qu’elle me disait que ça avait marché pour elle.
Je consommais alors tout ce qu’elle conseillait (= vendait) : compléments alimentaires, sessions de coaching de plusieurs semaines, entrainements physiques via une application dédiée… Je lui faisais confiance, elle était devenue, au fil des mois et des échanges, mon amie. Je lui avais confié plein de choses sur moi et mes problèmes et elle voulait mon bien, j’en étais persuadée. Je suivais ses réseaux sociaux avidement, je partageais ses posts, je postais, comme elle, des phrases inspirantes, je postais des photos de moi à la salle de sport, comme elle également… Je faisais tout pour gagner son approbation et ses encouragements.
Elle me proposa alors de rejoindre son équipe de coachs, elle me voyait bien faire ça, j’allais être une super coach, vraiment, je devais essayer, j’étais un exemple pour les autres, elle était sûre que j’allais y arriver ! Je n’étais pas convaincue mais, j’avais envie de lui faire plaisir, à elle qui m’avait tant aidé, alors j’essayai et je réussis même à embarquer des copines et des membres de ma famille dans mon “entreprise” pendant quelques mois. Mais, bizarrement, je ne gagnais pas tout l’argent qu’on m’avait promis que j’allais gagner lors des séminaires de la marque auxquels j’avais assisté en France, des réunions hystériques où les “meilleurs coachs” venaient raconter leur parcours et comment leurs vies avaient changées depuis qu’ielles travaillaient pour la marque. Moi, ça me coûtait de l’argent plutôt, car mes ventes ne couvraient pas les montants que je payais pour acheter les produits. Mais je pensais que c’était parce que je ne faisais pas assez d’effort alors, je persévérai. Mais au bout de quelques mois, j’ai fini par craquer. J’étais mal à l’aise à l’idée de devoir envoyer 50 messages par jour sur Instagram à des gens que je connaissais à peine pour les recruter, j’étais fatiguée de préparer pendant des heures des posts pour mes réseaux sociaux, sur le sport, le “mindset” ou mes repas préparés à l’avance pour toute la semaine. Ce n’était pas moi ça, je le sentais bien et même si une part de moi voulait réussir, je pris la décision d’arrêter la vente.
Quelques mois plus tard j’arrêtai le coaching avec elle. Je souffrais de dépression sévère (pour tout un tas d’autres raisons, mais cette expérience en a fait partie également, cf. mon livre Au Fond du Trou si tu veux les détails) et je devais prendre soin de moi. Oh, elle comprenait, elle me souhaitait le meilleur, c’était important de prendre soin de soi, j’avais raison, on se reparlerait bientôt, promis ! Puis elle disparut de la circulation. Plus de nouvelles, rien. La seule fois où j’entendis de nouveau parler d’elle, c’était pour me proposer des réductions sur les compléments qu’elle vendait, dans un e-mailing impersonnel que j’ai reçu quelques mois plus tard.
J’ai finalement compris que je m’étais faite avoir bien comme il faut. Elle n’avait jamais été mon amie, je n’avais été qu’une cliente pour elle, une nana qui pouvait lui rapporter de l’argent, rien de plus. Sous prétexte de m’aider, elle avait simplement cherché à s’aider, elle. Ma déception et ma honte ont été très difficiles à supporter pendant un moment, mais aujourd’hui, je pense avoir digéré cette histoire et c’est pourquoi j’ai choisi d’en parler.
En regardant le documentaire sur NXIVM, j’ai retrouvé tout un tas de discours et de mécaniques qui avaient été employées contre moi à cette époque. Le fait de te dire qui tu es unique, que tu es un exemple, que tu peux y arriver si tu mets ton énergie mentale au service de la bonne façon de penser, que tu deviendras la meilleure version de toi-même si tu suis les bonnes méthodes que l’on va t’enseigner contre quelques centaines/milliers d’euros, les conneries de “Loi de l’Attraction” où on te dit en substance que tout ce qui t’arrive/ t’est arrivé de plus traumatique est de ta faute parce que tu ne penses/pensais pas assez positivement… tout ça dans le seul et unique but de te faire dépenser de l’argent en formations, en coachings ou en compléments alimentaires. Tout cela je l’ai entendu, ou lu, à cette période. Et je l’ai même cru, parce que j’avais besoin d’aller mieux et que cela semblait m’apporter les réponses que j’attendais.
J’ai eu de la “chance” de ne pas être tombée dans les griffes d’une organisation plus sectaire que celle pour laquelle elle travaillait, car j’aurais été suffisamment vulnérable à cette période pour me laisser embarquer dans n’importe quoi.
Comme l’a raconté Karlota Aleviosa (une tarologue et sorcière passionnante) dans une story sur Instagram où elle parlait de ce documentaire (ce qui m’a donné envie de le regarder), on assiste à un développement de ce genre de mécaniques dans le monde de la spiritualité, de la sorcellerie et de l’ésotérisme. On utilise les faiblesses des gens pour leur soutirer de l’argent voire, pour abuser d’elleux sexuellement sous prétexte de leur donner accès à des connaissances secrètes ou des messages divins. Dans ce milieu qui prône souvent la bienveillance et qui attire toujours plus de personnes en recherche d’elles-mêmes, les dérives sectaires ne sont jamais bien loin.
Comme il est dit en conclusion du documentaire, toutes les victimes de la secte étaient des personnes intelligentes. Gardons les yeux ouverts.