« I use the memories and the lives of people I don’t know in order to save my soul »
« Describe what you do for a living but make it creepy »
J’utilise les souvenirs et les vies de gens que je ne connais pas dans le but de sauver mon âme.
C’est ce qui m’est venu à l’esprit au moment de trouver la version la plus sinistre possible pour décrire le métier d’écrivaine, en voulant ajouter ma contribution à ce mème. Et quand je l’ai partagé sur mes réseaux sociaux, un de mes amis a commenté « Famous last words » (littéralement « célèbres derniers mots »), expression qui, en anglais, qualifie une déclaration qui est montrée très vite, et d’une manière embarrassante, comme étant fausse mais qui peut aussi faire référence aux derniers mots, toujours forcément inspirés, prononcés par les grand·es de ce monde au moment de leur décès.
Je ne sais pas si c’est ce que voulait dire mon pote. J’ai envie de croire que pour lui, ça sonnait comme étant digne de figurer en épitaphe sur ma pierre tombale, que ça pourrait éventuellement rester comme les derniers mots que j’aurais prononcé sur mon lit de morte, comme la phrase qui résumerait le mieux mon rapport à l’écriture. C’est vrai que ça serait classe comme derniers mots avant de mourir.
« J‘ai passé ma vie à utiliser les souvenirs et les vies de gens que je ne connaissais pas dans le but de sauver mon âme », voici les derniers mots qu’a prononcé Leeloo Rocks sur son lit d’hôpital avant de quitter son enveloppe charnelle et rejoindre les autres Prix Nobel de Littérature au Paradis spécial VIP des Prix Nobel, où elle ne restera probablement pas longtemps, préférant aller faire la teuf avec les grandes stars du rock en Enfer, comme elle l’avait toujours prédit.
Une du Journal de 20 heures, le jour de ma mort, en 2078 (ça me laisse de la marge)
En y réfléchissant, c’est complètement vrai. Ça décrit parfaitement ce que je fais quand j’écris. J’emprunte les vies et les souvenirs de gens que je ne connais pas (encore), je leur invente des histoires et je les raconte et tout ça, je le fais parce que je n’ai pas trouvé de meilleur moyen pour sauver mon âme. Parce que je l’ai dit et je le dirait encore et toujours, si j’écris c’est pour me sauver. Parce que je ne sais pas faire autrement pour donner du sens à ma vie, à mon monde, à mes expériences plus ou moins heureuses, plus ou moins douloureuses. Si j’écris, ce n’est pas (encore) pour le succès ou l’argent qui coule à flot, j’écris juste parce que je n’ai pas trouvé autre chose qui me fasse me sentir plus vivante, plus réelle, plus présente dans le monde.
Utiliser les vies des autres
Lorsque je suis tombée sur ce mème, j’étais en train de faire un exercice d’écriture proposé par Joseph Gordon-Lewitt sur sa plateforme de création collaborative (et boîte de prod’) Hit Record. Récemment, la plateforme a développé des modules de formation, appelés « Class project » qui associent apprentissage et création sur le tas pour développer ses aptitudes dans divers domaines (photos, écriture, musique, jeu, doublage…). Le « Class project » que je suivais à ce moment-là s’appelle « Créez un personnage basé sur vous-même » et a pour objectif de faire partir l’apprenant·e de son histoire personnelle pour construire un personnage et lui écrire une scène de dialogue. À un moment, dans le module, il est demandé d’utiliser le personnage développé par un·e autre participant·e pour le faire interagir avec son personnage à soi. J’allais donc utiliser la vie d’une autre personne (fictive mais basée sur une personne réelle), que je ne connaissais pas (encore), pour construire une scène de la vie de mon personnage (fictif mais basé sur moi), que je ne connaissais pas encore bien plus, pour donner vie à leur rencontre fictive. Et c’est en me dépatouillant dans ces vrais gens inventés que j’ai trouvé cette façon de décrire le métier d’autrice. Et j’ai trouvé que ça sonnait bien, et que ça sonnait juste.
Même si l’on met des petits ou des gros morceaux de soi dans ses personnages, on ne les connait pas toujours beaucoup quand on commence – et parfois pas plus quand on termine, mais cela n’empêche pas d’utiliser leurs vies, leurs histoires, leurs souvenirs pour raconter, les raconter, se raconter, pour exprimer ce qui est là, en soi. Que l’on parte de son expérience personnelle, de sa propre vie, de manière plus ou moins romancée d’ailleurs, ou que l’on « invente » un personnage (mais je ne pense pas qu’on invente vraiment un personnage, il y a toujours quelque chose de soi dedans, même s’il est diamétralement opposé à soi) on finit toujours par se connaître un peu mieux lorsque l’histoire est écrite. Quoiqu’il arrive au personnage, quoiqu’il ou elle fasse, on se découvre aussi en le ou la révélant au monde. On se rencontre en allant à la rencontre de ces héros ou de ces héroïnes à qui l’on donne plus ou moins de soi et à qui l’on fait vivre des vies qui nous ressemblent plus ou moins.
Et au final, c’est comme ça qu’on se sauve, qu’on garde notre équilibre, qu’on arrive à rester réel·le dans le réel. On utilise la vie des autres pour mieux comprendre la sienne. On utilise les souvenirs des autres, imprégnés des nôtres, pour mieux expliquer leurs trajectoires, nos trajectoires, mieux se regarder dans le microscope sans avoir à se découper en lamelles mais en utilisant pour cobayes ces êtres immatériels.