Un prompt, une histoire qui sort de ma tête. La Figure Imposée est un défi que je me lance à partir d’exercices d’écriture, de prompts ou de petites phrases trouvées en ligne.
Prompt : Le personnage principal est un multi-millionnaire que sa femme essaie de tuer pour récupérer l’héritage. Mais il l’aime tellement qu’il n’a pas le cœur de lui dire qu’il est immortel.
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Franchement, moi, je pensais qu’elle savait. Je veux dire, je ne m’en suis jamais caché mais peut-être que j’aurais du lui dire de manière plus claire. J’ai dû être trop subtil. Mais je pensais que quelqu’un qui ne vieillissait pas, qui ne tombait jamais malade, qui ne se blessait jamais, qui ne souffrait de rien, ça allait lui mettre la puce à l’oreille ! Qu’elle se pose au moins la question de mon état de santé infaillible ! On est quand même mariés depuis plus de trente ans maintenant, bon sang !
Clairement pas le couteau le plus affuté du tiroir, et pourtant elle en des lames dans le sien, vu qu’elle a déjà essayé de me poignarder deux ou trois fois. Elle, elle dirait que ce n’étaient que des accidents, de stupides, horribles, incroyables accidents. Et que c’était la faute du hasard si c’était arrivé plusieurs fois. La vie était si ironique, dirait-elle. « Qui aurait pu croire que par trois fois j’aurai accidentellement poignardé mon cher mari, alors que nous cuisinions/pique-niquions/bricolions dans la maison ! » se serait-elle exclamée.
Trente ans de mariage, trente ans de tentatives de meurtre plus ou moins ingénieuses et créatives mais toutes infructueuses et trente ans qu’elle ne comprenait pas que je ne POUVAIS pas mourir ! Elle pouvait essayer tout ce qu’elle voulait, ça ne marcherait jamais ! Les couteaux, vous le savez, ça ne me fait rien. Le poison ? Même pas une petite gastro ! Les coups de feu, pareil ! Combien de balades en forêt où j’ai été la cible de « chasseurs » maladroits ? Combien de fois ai-je été agressé dans les rues, la nuit, à la sortie d’un cinéma ou d’un restaurant, laissé pour mort par le merdique petit voyou qu’elle avait embauché, tout ça pour qu’elle me voie rentrer quelques heures plus tard comme si de rien n’était ?
Et elle ne comprenait toujours pas !
Et je ne pouvais toujours pas me résoudre à lui dire.
Elle était si mignonne quand elle essayait… à force ça me faisait rire ! J’avais presque hâte de voir ce qu’elle mijotait pour la prochaine tentative. Avait-elle trouvé un nouveau médicament indétectable sur le marché noir qui me réduirait au silence instantanément ? Avait-elle recruté je ne sais quel tueur à gage de je ne sais quelle mafia pour m’éliminer le plus discrètement possible ? Allait-elle simplement me pousser dans les escaliers et me regarder rouler encore et encore, sans jamais que je ne me brise la nuque ?
Je ne pouvais pas lui enlever ça, c’était la seule chose qui la liait encore à moi. Si nous divorcions, elle le savait, elle n’aurait rien. Si elle me quittait, c’était moi qui n’aurait plus rien à part ma fortune. Et je préférais rester le mari d’une meurtrière assoiffée d’argent que d’être un milliardaire immortel et seul.
Au bout de quelques temps, pourtant, je m’inquiétai. Elle commença à oublier. Elle commença à se perdre dans les pièces de notre manoir. Elle disparaissait petit-à-petit, devant mes yeux et je ne pouvais rien faire. J’étais impuissant, complètement impuissant face à sa lente disparition. Je la provoquais pour essayer de faire renaître en elle la flamme de la haine, l’envie de m’ébouillanter quand elle se préparait un thé ou de m’écraser avec sa voiture quand elle sortait faire un peu de shopping. Mais je voyais bien qu’avec son esprit qui s’effaçait, s’effaçaient aussi ses pulsions, sa hargne, son ambition. Ce qui faisait la base solide de notre mariage tordu était en train de s’évanouir dans le brouillard.
J’avais l’habitude de voir mourir mes compagnes de vieillesse, de maladie ou dans des accidents. J’étais sur cette Terre depuis un petit bout de temps maintenant, et je connaissais la chanson. À chaque fois, c’était pareil. Elles mourraient, je pleurais beaucoup, je les enterrais avec force effusions et je partais « finir » ma vie ailleurs le temps qu’on m’oublie. Je les ai toutes aimé, vraiment et sincèrement. Mais aucune d’entre elles ne m’avait montré son amour en passant son existence à essayer de me tuer. Aucune d’entre elles n’avait mis autant de cœur à vouloir m’anéantir. Aucune d’entre elles ne s’était autant appliquée. Je ne pouvais pas la regarder perdre un esprit destructeur aussi prolifique sans rien faire. Je ne pouvais pas me résoudre à laisser la maladie la grignoter sans lui offrir la mort qu’elle aurait voulu me donner.
Je me replongeai dans mes souvenirs. Je cherchais la méthode la plus excentrique, la plus intrépide, la plus grandiose avec laquelle elle avait essayé de me mettre six pieds sous terre (hormis la fois où elle m’avait littéralement mis six pieds sous terre, et que j’avais du ramper dans la gadoue pour me sortir du cercueil… je n’avais pas vraiment aimé ça). J’allais lui offrir une mort exceptionnelle pour la remercier de cette partie de ma vie immortelle avec elle.
Lorsqu’elle eut un moment de lucidité, avant que la maladie ne gagne encore du terrain, je lui avouais tout. Mon immortalité, mon plan pour lui offrir une fin de vie digne de ses crimes, tout.
« C’était donc pour ça que tu ne crevais jamais, scélérat !, me dit-elle.
– Oui, mon aimée, oui. Je ne peux pas mourir, rien ne me tue, rien ne me dévore jamais et si quelque chose essayait je suis sûr que j’en reviendrais. Mais toi, ma douce, ma tendre psychopathe, tu te meurs à petits feux. La maladie te ronge, ma chérie, tu perds la mémoire et le peu de raison que tu avais.
– Je sais, me dit-elle, je sais. Parfois je ne sais plus mais le lendemain, je sais à nouveau et je crois que je préfère encore ne plus savoir.
– Je ne te laisserai pas partir comme ça, je vais t’offrir ton grand départ. Nous allons enfin nous dire au revoir, même si ce n’est pas de la façon que tu espérais. Je te promets, en tous les cas, qu’elle sera digne de toi. »
Il y a une semaine, j’ai enfin mis à l’exécution mon ambition. Elle m’avait aidé à concevoir le plan, mettant à ma disposition son génie maléfique pour créer une mort exceptionnelle.
Au diner, je lui fis servir son plat préféré, arrosé d’un verre de vin au cyanure. Son repas avalé, dès la première gorgée passée entre ses lèvres, elle tomba raide, morte sans une once de douleur, ce que nous voulions tous les deux pour elle. Ensuite, je découpai son corps en dizaine de morceaux et attachai solidement les différentes parties à des dizaines de fusées plus ou moins grosses, mais toutes très puissantes. Le résultat allait être magnifique. Un véritable et spectaculaire final.
J’ai maintenant le boitier dans la main et je m’apprête à appuyer sur le détonateur. Les fusées vont s’élancer avec la puissance des explosifs et éclater dans le ciel de la nuit en mille et unes couleurs. Elle partira dans un feu d’artifice et moi, je serai encore là, seul avec ma fortune, dans le parc de notre manoir, à regarder pleuvoir des morceaux d’elle dans les étoiles et des morceaux d’étoiles dans le ciel.
5, 4, 3, 2…
1.
Boum.
Adieu mon amour.
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Photo de Edgar Colomba provenant de Pexels