Ça a commencé comme une blague, presque.
Un post sur Facebook disait « Hey, le collège où je travaille cherche quelqu’un pour remplacer la documentaliste deux jours et demi par semaine ! » Ni une ni deux, une copine me tague dessus et, bien que je n’avais pas prévu du tout de chercher puis de retrouver un emploi avant un bon moment, voilà que je me surprends à me dire why not ? C’est vrai, ça se tient une nana qui écrit des livres et qui bosse dans un endroit blindé de livres ! Ça se tient une nana qui a bossé dans l’information et la com et qui doit en enseigner les subtilités à des ados !
Deux coups de fil plus tard je postulais pour être enseignante-documentaliste remplaçante dans ce collège. J’eus d’abord la directrice de l’établissement avec qui le feeling est très bien passé, puis la documentaliste titulaire m’appela ensuite et une fois encore, le feeling passa super bien, je semblais avoir les compétences et elles avaient toutes les deux envie que je vienne bosser avec elles. J’envoyai donc mon CV et ma lettre de motivation et puis… pas de nouvelles pendant plusieurs semaines.
Un peu déçue quand même, je me suis dit que quelqu’un d’autre avait eu le poste et que ce n’était pas bien grave. Au moins j’avais tenté ma chance !
Mais en fait non ! Rebondissement ! Fin septembre, je reçois un appel du rectorat : est-ce que je peux commencer le 1er octobre ?
J’adore déjà l’organisation de l’Éducation Nationale ! La directrice du collège m’avait prévenue : ça peut prendre du temps avant que le rectorat valide ma candidature et m’attribue le poste mais elle allait les presser pour que je puisse démarrer le plus vite possible.
Au téléphone, la dame du rectorat me reprocha de ne pas m’avoir trouvé dans leur base et me dit que c’est pour ça que mon dossier avait mis du temps à être traité. Je ne suis pas dans leur base car je n’ai jamais bossé pour l’Éducation nationale, mais au lieu de rentrer dans un débat et des explications inutiles sur la logique de la dame et du rectorat, j’acquiescai et dis que oui, oh la la, c’est pénible en effet, cette base qui ne me trouve pas ! Puis elle me dit que si j’étais dispo à partir du 1er octobre, je pouvais commencer, qu’elle lançait dès le lendemain la demande de mon casier judiciaire, pour gagner du temps et que je n’ai pas à le faire moi-même. C’est bon pour moi, je commence le 1er octobre ? Enfin, si l’inspecteur valide mon dossier, mais d’après elle, ça passera crème.
Après mure réflexion de deux minutes, j’ai dit banco !
Littéralement deux minutes plus tard, c’est au tour de la directrice de m’appeler pour me demander si le 1er c’était bon pour moi, parce qu’elle venait de houspiller le rectorat pour qu’ils se sortent les doigts avec mon dossier. Efficace, lui réponds-je, je viens de les avoir et j’arrive le 1er ! Joie et allégresse de son côté, tandis que du mien, c’est plutôt « qu’est-ce que je suis encore en train de foutre avec ma vie professionnelle » ?
Et donc dans un élan de YOLO encore plus fort que d’habitude, je suis devenue Dame du CDI à temps-partiel dans un collège le 1er octobre 2020.
Chuuuuut !
Dans mes souvenirs, comme dans les tiens si tu es de la même génération que moi, une Dame du CDI est une femme d’une quarantaine d’années, un peu chelou, avec des lunettes sur le nez, lunettes tenues par une chaine qui lui permet de les faire pendre autour de son cou, des chaussures à petits talons qui font tac-tac quand elle se déplace dans le CDI et qui dit régulièrement « Chuuut » en te faisant les gros yeux.
Dans la réalité de maintenant, le cliché de la Dame du CDI perdure dans les esprits mais pas vraiment dans la pratique. Alors, je ne vais pas te mentir : oui, je possède une chaîne de lunette (offerte par une amie pour mon homologation de Dame du CDI). Oui, j’ai déjà recadré des élèves trop bruyant·e·s. en balançant un chuuut. Oui. Il y a des choses qui ne changent pas. En revanche, contrairement à quand moi j’étais au collège, il y a 25 ans (aïe), la Dame du CDI s’appelle Professeure/Enseignante-Documentaliste et c’est tout la dimension enseignement que je trouve particulièrement intéressante.
Dans les programmes et les fiches de postes, j’ai appris qu’être Dame du CDI, ce n’est pas seulement gérer le fonds documentaire et dire aux élèves de fermer leurs bouches quand ils viennent passer une heure avec moi. Être Dame du CDI, c’est enseigner aux élèves les subtilités de l’information, surtout à l’heure d’internet, c’est leur expliquer la différence entre une information et une opinion, c’est leur donner les armes nécessaires pour s’en sortir dans les Internets et les réseaux sociaux, réussir à faire le tri… C’est aussi transmettre un certain amour des mots, de la lecture, de l’écriture, de la culture.
En fait, je crois que je suis intrinsèquement Dame du CDI depuis toujours mais je m’en n’étais pas aperçue !
The perks of being a Dame du CDI
En devenant par hasard Dame du CDI, j’entre dans le monde merveilleux de l’Éducation Nationale. J’ai maintenant le droit de passer de l’autre côté du miroir. J’ai le droit d’aller dans le bureau de la Directrice et ça ne sera pas pour me faire engueuler. J’ai le droit d’aller voir ce qui se passe dans la sacro-sainte Salle des Profs (pour le moment, j’ai entendu : des blagues sales, des discussions sur les élèves relous et des échanges sur tout un tas de sujets qui n’ont rien à voir avec l’enseignement) et même que personne ne me demande d’en sortir ! J’ai le droit d’aller partout, de doubler les gamins dans la file de la cantine (cheh), d’aller manger dans une salle à part, au calme, de traîner à l’intérieur pendant les récréations et les inter-classes… Je suis Dieu ou, plus modestement, un de ses Anges, mais à l’échelle d’un collège !
Autre avantage non-négligeable, l’accès à tout un tas de livres en mode open bar ! J’aime beaucoup la littérature jeunesse et young adult et pour le moment, le CDI possède déjà un bonne dizaine de livres que j’ai envie de me mettre de côté dès que possible ! Ce qui est cool c’est que ma collègue et moi avons globalement les mêmes goûts et les mêmes envies en termes d’acquisition, ce qui fait que nous allons tout faire pour commander des bouquins qui nous plaisent et qu’on a envie de faire découvrir aux gosses. J’ai déjà suggéré Sacrée Sorcières (version Pénélope Bagieu – ma collègue est grave chaude) et je suis clairement en train de préparer une liste au Père Noël des Livres genre « Journal Intime de Cléopâtre Wellington » de Maureen Wingrove aka Diglee, , d’autant plus que la gestionnaire du collège nous a clairement dit de lui faire passer nos requêtes et qu’elles seraient acceptées.
C’est plutôt chouette d’être l’adulte et d’avoir le « pouvoir » de conseiller des livres à des gosses. La dernière fois, une élève cherchait un livre pour une fiche de lecture à rendre en français. Elle avait le droit à une BD mais ne savait pas laquelle choisir. « Tu aimes quoi ? Je sais pas. » Qu’à cela ne tienne, je lui donne « La Ligue des Super Féministes » de Mirion Malle, parce que je suis certaine que ça lui apprendra des choses, que ça sera rapide à lire et à sa portée. Hashtag lobby féministe même pas dissimulé.
J’ai été ravie de trouver « Le Grand Mystère des Règles » de Jack Parker, « Allô Sorcières : Viser la lune » d’Anne-Fleur Multon, « Les Quatre Soeurs March » de Rey Terceiro et bien d’autres sur les étagères du CDI. Parce qu’outre le féminisme, ma collègue et moi avons toutes les deux à cœur de travailler sur la diversité et les représentations donc autant te dire que je vais trouver des bouquins fabuleux qui mettent en scène des jeunes noir·e·s, hispaniques, arabes, asiatiques… avec un plaisir non dissimulé ! J’en ai d’ailleurs quelques uns dans ma pile à lire du moment et je sens que dès qu’ils seront terminés, ils iront dans la liste au Père Noël des Livres !
Je vis ma meilleure vie de rat de bibliothèque à qui on a donné le droit de choisir des livres pour ses camarades, de mettre en avant des livres par thématiques ou encore, de lire des livres sur ses heures de travail, parce que c’est son travail !
Educ Nat mon amour
Evidemment, un des autre avantage de ma position de Dame du CDI contractuelle, c’est d’être à la fois partie-prenante et observatrice de l’administration et plus particulièrement de la grande famille de l’Education Nationale. Je connaissais déjà vaguement ses rouages et ses absurdités grâce à quelques ami·e·s profs, enseignant·e·s et CPE et désormais, je vais aussi pouvoir vivre et documenter les grands moments de what the fuck qui vont rapidement apparaître (et qui ont déjà commencé, je l’avoue).
Premiers constats : on est effectivement sur une organisation pas super efficace (mais existe-ce vraiment ?), pleine de procédures qui ralentissent les prises de décisions (mais on ne va pas non plus demander à l’EN de passer en méthode Agile parce que la plaie, merci bien) et surtout, un manque de moyen plus que flagrants. Tu sais quand les profs descendent dans la rue et se mettent en grève et que tu râles parce qu’ils font chier qui va gérer les gosses ? Bah en fait, c’est parce que pour travailler, on leur demande de faire avec trois francs six sous, de ne pas imprimer en couleur parce que ça coute trop cher, de faire avec un chauffage qui marche plus que moyennement, d’utiliser des ordinateurs vétustes qui s’allument une fois sur trois, de ne pas utiliser le projecteur qu’on leur a fourni parce qu’on n’a pas pensé à leur commander les bons câbles pour le brancher et qu’ils n’ont pas d’ordinateur portable à disposition de toute façon ou enfin, de remiser les quelques tablettes qu’ielles ont à dispo pour les élèves parce qu’on capte pas le wifi dans le CDI, donc aucun intérêt. Toutes ces choses sont vraies, je les ai apprises lors de mon premier jour dans le collège où je travaille et je considère tout de même qu’on fait partie des établissements les mieux lotis.
Tu m’étonnes qu’ielles se foutent en grève, qu’ielles sont toujours en train de manifester, d’interpeler l’opinion, de partir en dépression ou de se donner la mort dans les cas les plus extrêmes. On leur demande de former les générations futures mais on leur donne un bout de ficelle et un chewing-gum déjà mâché pour le faire !
Comme dirait la chaîne du même nom : Et tout le monde s’en fout.
Et qu’on ne me parle pas des vacances scolaires et des semaines de dix-huit heures comme étant le top du privilège enseignant, s’il te plait, parce que ce sont des clichés plus qu’éculés et qu’en plus, tu l’as bien vu pendant le confinement, ton/tes gosse·s est/sont chiant·s à supporter toute la journée et encore plus quand il s’agit de leur faire apprendre des choses !
Bref, je pense que je vais régulièrement partager ici les grands moments de ma vie de Dame du CDI, aussi bien face à des ados de 11 à 15 ans (en moyenne), qu’à des profs ou l’Éducation Nationale.
On va se marrer !
Franchement, je pense que c’est LE job pour toi. J’espère que tu y resteras plus longtemps que deux semaines… (On est déjà le 18 et tout donc i guess that mis bon, j’attends les news…)
J’y suis jusqu’au 31/08/2021 d’après mon contrat. On verra ensuite si le collège et moi on veut encore l’un de l’autre ! Pour le moment, c’est vraiment chouette !