Avant toute chose, il faut noter que cette exposition s’adresse évidemment à celleux qui sont intéressés par le féminisme, l’activisme 2.0 et la place des femmes dans le monde de l’informatique. Si tu aimes l’art contemporain, elle te parlera aussi. Si l’informatique et les nouvelles technos te parlent, ça peut aussi t’intéresser. Et si tu es curieux·se de manière générale, ça devrait aussi te parler.
Computer Grrrls est avant-tout la vision de 23 artistes et collectifs sur la place de la femme dans les technologies numériques, depuis les « ordinatrices », les première mathématiciennes ou les « dames du téléphone » aux femmes qui ont fait le web, aux activistes et aux militantes 2.0.
Les œuvres exposées, toutes réalisées par des artistes chercheuses, hackeuses ou makeuses questionnent la place des minorités sur Internet, les biais de genre, la surveillance numérique et le colonialisme électronique.
L’exposition commence par une frise chronologique mettant à l’honneur l’évolution des femmes dans l’informatique du 18è siècle à nos jours : Ava Lovelace, première à avoir réalisé un programme informatique, les « ordinatrices » – ces femmes à l’origine du mot « ordinateur » qui effectuaient tous les calculs complexes, des tâches considérées comme rébarbatives et donc « indignes » des hommes, les premières cyberféministes des années 90, Lara Croft, ou encore Chelsea Manning, elles sont (re)présentées et mises en lumière pour leurs contributions diverses au numérique et aux nouvelles technologies.
Quand les computers portaient des jupes
La première partie de l’expo est ensuite consacrée aux « télégraphistes, dactylographes, opératrices de téléphonie, méca-nographes, programmeuses, les femmes ont souvent constitué une avant-garde dans le développement de technologies novatrices ». Au travers des œuvres, les artistes nous présentent ces femmes, nous les racontent dans des documentaires, nous montrent grâce à des images d’archives inédites qui elles étaient et les rôles primordiaux qu’elles avaient.
De cet espace de l’exposition, je retiens surtout « Breaking the Internet » de Lauren Huret, une vidéo qui retrace les développements historiques des technologies et leurs effets délétères, « Le Fantôme de l’Opératrice » de Caroline Martel, une autre vidéo qui parle des opératrices de téléphonie du siècle dernier et « Vukosava » de l’artiste Aleksandra Domanović, une représentation en impression 3D de la première main artificielle à cinq doigts, la « Main de Belgrade« .
Do It Yourself et tactiques de résistance
Dans cette seconde partie de l’exposition, les artistes rendent visibles les discriminations et les normes sexistes inscrites dans le code et questionnent la notion de « progrès » technologique. Elles invitent à se réapproprier ces outils pour dépasser les binarismes. Le manque de diversité dans la tech est particulièrement pointé du doigt, à l’heure où les algos, et les biais de ceux qui les programment, sont partout.
Dans cet espace, j’ai adoré l’œuvre de Jennifer Chan intitulée « A total JizzFest » (déjà le titre est formidable) : un Macbook posé sur une pile de cartons de pizza peints en argenté diffuse la plus kitsch des vidéo en l’honneur des patrons des grandes entreprises de la tech (Microsoft, Amazon, Google, Méga…). C’est un véritable festival de la couille high tech qui dénonce clairement le manque de figures féminines dans ce paysage très (trop) masculin et c’est magnifique et très drôle !
« Body Scan » d’Erica Scourti m’a aussi fortement marquée. Ici, l’artiste a exploré les réponses de Google Search Image et autres moteurs de recherche d’images lorsqu’elle envoie différentes photos de son corps capturées avec son smartphone. En voix off, elle commente les résultats de la recherche et réfléchit aux significations parfois amusantes et souvent sexistes qu’ils contiennent. Par exemple, les images de certaines parties du corps de la femme (en particulier les seins) s’accompagnent systématiquement de suggestions sur la manière de les améliorer.
Autre œuvre très drôle, le « Center for Technological Pain » de Dasha Ilina et notamment la vidéo qui parodie les vidéos d’auto-défense où elle explique comment se défendre contre les gens qui sont rivés sur leur smartphone dans la rue : « Self Defense Against Technology » ! Le prises sont fabuleuses et ont des noms très explicites tels que « Nose Palm » qui consiste concrètement à filer un grand coup dans la tronche de la personne avec la paume ta main. Le petit plus : les fiches d’auto-défense à emporter !
« L’Atlas Critique de l’Internet » de Louise Druhle est une pièce extraordinaire qui mérite également qu’on y regarde de plus près, tant ses détails sont fous ! Heureusement l’artiste la présente sur un site dédié où je t’invite à te rendre de toute urgence.
Science Frictions
Troisième et dernière partie de l’expo, Science Frictions voient les artistes poser un regard critique sur les évolutions technologiques, notamment l’IA qui en prend pour son grade.
Ici, je suis tombée amoureuse de l’immersion en VR dans le monde dystopique de « NeuroSpeculative AfroFeminism » de Hyphen-Labs. Tu es, grâce à ton casque VR, dans le siège d’un salon de coiffure afro, lieu où, dans ce futur imaginé, se transmet désormais la mémoire et la culture afro. Tu pars alors à la découverte d’un monde onirique, grâce à tes électrodes « Octavia ».
J’ai également adoré « Howto³« , tutoriel cinématographique immersif d’Elisabeth Caravella et « I’m here to learn so :))))) » de Zach Blas et Jemima Wyman qui voit Ty, le chatbot que Microsoft a eu l’idée de génie d’envoyer sur Twitter pour apprendre le langage des millenials et qui a fini nazie au bout de quelques heures, reprendre vie et nous raconter son histoire et philosopher sur la vie et la mort d’une IA.
Je ne peux évidemment pas tout te raconter et je n’ai d’ailleurs pas tout pu regarder dans le détail mais cette exposition et les œuvres que l’on y découvre sont passionnantes et je t’encourage vraiment à y aller si tu passes par Paris.
Un week-end par mois, des rencontres, performances, concerts sont organisés en parallèle à l’exposition et apportent un regard supplémentaire aux problématiques abordées. En mai, le rendez-vous est le weekend du 18 et 19 et s’intitule « Dea Ex-Machina ». De la femme mécanique aux sexbots, des cyborgs aux avatars, ce week-end revisite l’imaginaire de la femme machine et explore la question du corps et de sa représentation dans l’univers numérique.
Pour plus d’infos, rends-toi sur le site de la Gaieté Lyrique, tu peux même y réserver ta place pour 6 à 8 euros.
Je te donne également le lien vers le livret de l’expo ainsi que le livret pédagogique (qui s’adresse a priori aux enseignant·es mais duquel tout un chacun peut tirer des informations intéressantes).
« Computer Grrrls, Histoire·s, genre·s, technologie·s » à la Gaité Lyrique, 3 bis rue Papin, 75003 Paris, du 14 mars au 14 juillet 2019. Ouvert du mardi au samedi de 14h à 20h et le dimanche de 14h à 19h. Fermeture exceptionnelle le 1er mai. Compter 1 à 2 heures de visite.
image de couverture : Nadja Buttendorf, Soft Nails ❤ [ASMR Kleincomputer Robotron KC87] <3, videostill.