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« Verser quelques gouttes de l’Elixir d’Amour de Madame Sabrina dans la boisson ou le repas de l’être aimé et il vous aimera en un instant et son amour vous sera éternel ! Produit garanti sans OGM, sans gluten et réalisé à partir d’ingrédients Bio. Peut contenir des traces de noix. »
La promesse sur l’étiquette de la petite bouteille avait d’abord fait sourire Adélaïde. Comment une petite fiole de quoi, même pas 20ml, pouvait assurer le désir et l’amour éternel de qui que ce soit ? C’était des conneries ces trucs là.
Elle était entrée par hasard dans la petite échoppe, située non loin de la gare de Saint Dizier, en attendant son train qui avait, Ô joie, une heure quarante cinq de retard. A deux doigts de mettre une gifle au contrôleur qui venait à nouveau d’annoncer, à elle et aux 50 autres passagers du Saint Dizier-Paris Est, que le train aurait un retard supplémentaire de 15 minutes, elle s’était mise à déambuler dans les alentours pour se calmer un peu et était tombée sur cette petite boutique.
« Athena Voyance et Boutique » était écrit en gros sur la vitrine dans une police d’écriture végétale, qu’on aurait dit tirée d’un bon vieux film fantastique des années 80 à la Wilow ou l’Histoire Sans Fin. Dans la vitrine, de multiples objets étaient disposés sur des présentoirs : une boule de cristal, des colliers, des bracelets, des pierres, des statuettes représentant anges et fées ou encore des flacons à la contenance inconnue mais aux couleurs chatoyantes, rouges, mauves et roses. Adélaïde n’était pas du genre à croire à tout ça mais la curiosité et l’incongruité de tomber sur une boutique ésotérique en plein dans la Haute-Marne l’avaient poussé à pénétrer dans la petite boutique.
Une femme d’une cinquantaine d’années l’avait accueillie chaleureusement. Cheveux longs, noirs et gris, lâchés et tombant jusque sous ses épaules, yeux scintillants, sourire franc, elle s’était présentée sous le nom de Veronica et lui avait fait faire le tour du propriétaire, ce qui fut assez rapide étant donné que la boutique devait faire, à tout casser, dans les quinze mètres carrés. Elle avait ensuite laissé Adélaïde faire son petit tour, lui assurant qu’elle se tenait à sa disposition en cas de besoin.
Adélaïde était toujours en train de ricaner en lisant l’étiquette de la petit fiole quand Veronica lui demanda :
« Vous devriez l’essayer, cet Elixir a déjà fait ses preuves !
– Oh, non, vous savez, c’est pas trop mon truc, tout ça, avait répondu Adélaïde en faisant un geste qui montrait l’ensemble de la boutique.
– Oh, que ce soit votre truc ou non, peu importe, moi je vous dit qu’il fonctionne à merveille ! Pas besoin de croire en quoi que ce soit, quand la magie opère, elle le fait que vous le vouliez ou non et ses mots ne sont jamais des promesses en l’air ! avait rétorqué Veronica, un petit sourire au lèvres et les yeux plein de malice.
– Non, vraiment, et puis je n’ai pas d’être aimé à faire rester, donc bon, je ne suis pas dans la cible, hein !
– Vous savez quoi, dit Veronica, je vous l’offre ! Si, si, j’insiste, ajouta-t-elle devant les protestations gênées d’Adélaïde, prenez-le, essayez-le et vous m’en direz des nouvelles. »
Elle avait ensuite pris le flacon des mains d’Adélaïde, l’avait emmené avec elle derrière sa caisse enregistreuse, emballé dans un petit sachet mauve et scellé avec une étiquette « plaisir d’offrir » puis elle lui avait tendu le paquet, toute fière.
« Tenez, ça me fait plaisir ! Et puis, je sens que vous allez en avoir besoin dans pas très longtemps », ajouta Veronica en lui adressant un clin d’œil en prime.
Adélaïde était sortie de la boutique en se disant que cette journée ne pouvait décidément pas être plus surréaliste. Entre son départ pour Saint Dizier aux aurores pour une réunion à la con dans une des filiales de sa boîte qui avait finalement été annulée au moment où elle sortait de son train, le train de retour qui affichait désormais deux heures trente de retard et cette rencontre avec une baba-cool-new-age-wicca-je-sais-pas-quoi qui lui avait refourgué sa daube supposément aphrodisiaque, non franchement, il était à peine onze heure et sa journée figurait déjà dans son top 3.
Quand son train arriva, Adélaïde avait déjà oublié le petit sachet mauve qu’elle avait jeté au fond de son sac. Il lui était toujours sorti de la tête quand elle reçu un appel de sa meilleure copine qui l’invitait à sortir ce soir-là. Et elle ne s’en souvenait absolument plus quand elle la retrouva dans un bar de la capitale et commanda son premier cocktail. Toujours aucun signe du souvenir du sachet quand elle se mit à danser sur la salsa endiablée que diffusait le DJ et rien non plus quand elle fut invitée à danser par le mec le plus beau qu’elle avait jamais vu. Sa copine était verte de jalousie, comme à peu près toutes les filles présentes dans le bar, et Adélaïde ne cachait pas son plaisir à danser avec cet homme qui était aussi bon danseur qu’il était beau, histoire d’en rajouter une couche. Et c’est précisément à ce moment-là qu’elle s’était souvenu du sachet mauve et de l’Elixir d’Amour de Madame Sabrina.
Qu’est-ce qu’elle risquait à l’essayer après tout ? Si ça ne marchait pas et bien tant pis, elle repartirait avec au moins le souvenir d’avoir dansé avec un éphèbe et si ça marchait, là par contre, c’était le jackpot. Un beau gosse, danseur émérite, fou amoureux d’elle ! Le rêve !
Elle se pencha vers son oreille :
« Ça te dit qu’on boive un coup, j’ai chaud là ?
– Oui pourquoi pas, avec plaisir, avait-il répondu
– Qu’est-ce que je t’offre ? demanda Adélaïde
– Un mojito !
– Alors va pour deux mojitos, répondit Adélaïde, en souriant. Au fait, comment tu t’appelles ? Moi c’est Adélaïde !
– Enchanté. Moi c’est Adriel. »
Son regard plongea dans celui d’Adélaïde et elle n’eut plus aucun doute, elle devait essayer l’Elixir. Elle ne pouvait pas laisser passer une occasion pareille. Elle avait un dieu vivant à portée de main, pas question de ne pas tenter le tout pour le tout.
Elle fila récupérer son sac sous la chaise de sa copine, fonça au bar et commanda deux mojitos tout en gardant un œil sur Adriel. Il était magnifique, se dit-elle, parfait, et en plus il l’attendait sagement dans un coin de la salle au lieu de continuer à danser avec d’autres filles ! Elle attendit que le barman lui ait rendu sa monnaie pour sortir discrètement la petite fiole de son sachet mauve et verser quelques gouttes dans le verre qu’elle donnerait quelques secondes plus tard à Adriel. Lorsqu’ils trinquèrent, elle avait le cœur qui battait à tout rompre, vibrant d’espoir que l’Elixir fasse son effet.
Adélaïde et Adriel continuèrent à danser toute la nuit au rythme de la salsa cubaine, avant de poursuivre avec une danse d’un autre acabit dans la chambre d’Adélaïde. Leurs corps ne firent plus qu’un, brûlants, transpirants, haletants. Lorsqu’Adriel la regarda et lui murmura, essoufflé « ouah, je crois que je suis en train de tomber amoureux de toi », elle n’en avait pas cru pas ses oreilles. Ça avait marché !
Le lendemain matin, quand elle se réveilla, Adriel était toujours à ses côtés dans son lit. Adélaïde n’en revenait pas ! Elle avait réussi à se trouver un demi-dieu et avec l’aide d’un peu de magie, il était amoureux d’elle ! Elle l’embrassa dans le cou pour le réveiller en douceur, lui croqua l’oreille pour le taquiner, mais il n’eut aucune réaction. Il avait sûrement le sommeil lourd se dit-elle. Elle le secoua gentiment, « Adriel », murmura-t-elle. Toujours rien.
Elle passa par-dessus son corps étendu et le retourna sur le dos. Il était pâle, froid, ses lèvres étaient bleues. Mort.
Adélaïde hurla.
…
L’autopsie n’avait rien révélé de suspect et elle s’était bien gardé de dire aux pompiers et à la police qu’elle avait administré un liquide en cachette à un type qu’elle avait rencontré dans un bar. Ça aurait été la prison assurée. Elle avait fait analysé l’Elixir d’Amour de Madame Sabrina par une amie qui bossait dans un labo pharmaceutique mais là non plus, rien d’anormal. De l’eau, du sucre, du romarin, de la lavande et de la fleur d’oranger. Pas mieux.
Elle se souvenait de ce que Veronica lui avait dit quand elle l’avait appelé quelques jours après la mort d’Adriel. Qu’elle n’avait rien à se reprocher, c’était Adélaïde qui l’avait administré ! Et puis, ses produits n’avaient rien de magiques, enfin, à peine de simples mélanges d’eau sucrée et d’herbes de Provence qu’elle vendait à des vieilles filles en mal d’amour ! Merci pour la compassion, avait pensé Adélaïde.
Adélaïde relu l’étiquette de la petite fiole de l’Elixir d’Amour de Madame Sabrina. « Son amour vous sera éternel ». C’est sûr que mort, il n’allait pas en aimer une autre qu’elle.
Finalement, la magie n’avait fait qu’opérer.
Photo de couverture :