Douglas Coupland, Google et le futur de l’emploi

Tu connais Douglas Coupland ? Il a écrit Generation X, Girlfriend dans le Coma, Toutes les Familles sont Psychotiques, Eleanor Rigby et des tas d’autres bouquins géniaux que je te recommande de lire dès maintenant parce que sinon, tu auras raté ta vie.

Un peu de culture ne fait jamais de mal

Originaire du Canada, l’écrivain a connu son premier grand succès grâce au roman, Generation X, dont le titre reprend le terme qui désigne la génération désenchantée, paumée et blasée des personnes nées entre les années 60-70. Coupland s’est inspiré du terme chéri des sociologues pour dresser un portrait adroit de l’angoisse existentielle qui touchait les jeunes trentenaires des années 1990.

Bonus culture générale : Les générations suivantes ont eu le droit à leur appellation elles aussi : Generation Y et Generation Z faisant références aux gens nés dans les années 1980-99 pour la première et dans les années 1995-2005 pour la seconde.

 

 

Tu l’auras compris, Douglas Coupland fait partie de mes auteurs favoris et, d’habitude, je m’attends rarement à lire le nom d’un de mes écrivains préférés dans une newsletter à laquelle je suis abonnée pour ma veille professionnelle. Pourtant, l’autre matin, c’est ce qui s’est passé.

Scroll, clic, suppr.

Dans le cadre de mon boulot, je suis inscrite à des tas de lettres de diffusion, ce qui fait de ma boîte mail pro un véritable merdier. La plupart du temps, je commence ma journée par supprimer des mails en masse avant de m’attaquer aux vrais trucs intéressants. Victime volontaire de l’infobésité, je fais partie de ces gens qui sirotent leur café devant leur boîte mail, l’œil blasé.  Mais ce matin-là, un email a retenu mon attention.

Douglas Coupland talks millenials, joblessness and life at Google

Comment ? Que vois-je ? Douglas Coupland ? LE Coupland, celui que je connais, qui écrit des livres que j’adore ? Qu’est-ce qu’il fout en objet d’une newsletter d’un site d’informations technologiques ?

Et bien figure-toi que le bonhomme a passé un an en résidence artistique dans les locaux de Google France et plus précisément, au sein de son Institut Culturel entre 2015 et 2016.

Et v’la t’y donc pas que, de cette résidence, est né un ouvrage plus ou moins confidentiel, Search, qui offre une analyse de l’humanité au travers des requêtes envoyées à Google chaque jour !

Coupland gave Google employees a thousand words and ­phrases, and they returned with the 100 most common search queries for each during the month of February.

« Coupland a donné aux employés de Google une centaine de mots et expressions, et ils lui ont répondu avec les 100 requêtes les plus courantes effectuées durant le seul mois de février pour chacun d’entre eux ».

Le livre dépeint, selon l’auteur lui-même, un « portrait de l’humanité dans sa soif éternelle de ragots sur les célébrités, de popcorn, de pizza discount et de sommeil profond ». Tout un programme !

C’est parce qu’il est un fin observateur et critique de l’être humain ainsi que de son rapport au travail, qu’il a été invité à s’exprimer lors de l’événement « Future of the Workplace » organisé par la solution de Konica Minolta Spotlight et dont le but est de « mettre en valeur des façons de travailler plus judicieuses et plus efficaces, de la pensée la plus intelligente à la technologie la plus avancée » et de « faire découvrir l’environnement de travail de demain sous un autre jour ».

Et c’est suite à sa participation à cet événement qu’il a ensuite été interviewé par une journaliste de IDG Connect, puis intégré à la fameuse newsletter qui a retenu mon attention ce matin-là !

Travailler c’est trop dur ?

Et donc, parce que je sens bien que ça commence à faire long pour une intro et que tu frémis d’impatience à l’idée de savoir ce qu’il raconte, qu’en est-il sorti de cette interview qui fasse que j’éprouve le besoin de t’en parler ici ?

Et bien, du Coupland dans toute sa splendeur mais aussi et surtout, une vision du monde du travail et de son avenir qui devrait te/me/nous pousser à la réflexion, en tout cas moi, ça m’y a poussé.

En ce moment s’opposent deux courants lorsqu’il s’agit de penser le travail de demain : ceux qui se disent que le 9h-17h est fini et que la culture du « travailler n’importe où » et de l’automation vont nous libérer et nous rendre plus productifs, d’un côté et ceux qui, d’un autre côté, prédisent l’avènement des robots et le vol de nos boulots par les machines.

Entre les deux, voire à contre-courant, il y a Douglas Coupland. Pas super pessimiste ni franchement optimiste non plus, l’écrivain voit plutôt un futur où travailler n’aura plus vraiment le même sens, voire plus de sens du tout :

There will be less to do and we have to be prepared for that. In the future every day of the week will be a Wednesday.

« Il y aura de moins en moins de choses à faire et nous devons nous préparer à ça. Dans le futur, chaque jour de la semaine sera un mercredi », dit Coupland.

Il poursuit en ajoutant que, bien qu’il soit plutôt attirant d’en faire le moins possible, une fois cette possibilité passée sous le prisme du capitalisme, ça s’appelle « ne rien foutre » et « chômage » et c’est moyen apprécié en vrai.

Pour lui, faire en sorte que les gens soient occupés sur leur lieu de travail est un véritable travail à temps-plein et il en est de la responsabilité des gouvernements de faire en sorte qu’ils le soient.

Et c’est pas complètement insensé comme façon de voir les choses. A titre personnel, j’ai souvent l’impression d’être une imposture à mon boulot parce que je ne me sens pas assez « occupée ». Et ce n’est pas que moi, j’en suis sûre, puisque, toi aussi, tu as peut-être ressenti ça voire, tu connais des gens qui « se donnent l’air occupés » alors que concrètement ils ne font pas grand chose de leurs journées (volontairement ou non, d’ailleurs).

Cela mériterait effectivement que l’on s’interroge sur notre façon d’organiser nos activités professionnelles – comment nos tâches nous sont attribuées, ce que nous avons à notre disposition pour les réaliser (matériel, compétences, temps) et quelles attentes de résultats sont placées derrière, mais aussi, de manière plus générale, notre vision du Travail, à l’heure où avoir l’air occupé devient parfois plus important que d’être efficace dans l’accomplissement de la mission.

Le travail rend quoi ?

Dans l’interview, la journaliste nous rappelle qu’un monde où l’être humain est soulagé par les machines pour avoir du temps libre c’est ce que l’on nomme une utopie. C’est sensé être un truc cool ! Mais pour Douglas Coupland, ça ne l’est pas du tout : trop de temps libre tue le temps libre.

Too much free time is a disaster.

Et il le disait déjà dans Generation X, au travers de ses personnages blasés par leur full-time jobs sans intérêts. On exerce des activités à temps-plein pour pouvoir se payer du temps-libre, ce qui semble déjà assez paradoxal, mais une fois qu’on l’a, ce temps-libre, on ne sent pas mieux. On est cons ou bien ?

Pour lui, les Millenials et la Generation X rencontrent plus ou moins le même genre de paradoxes lorsqu’il s’agit de travail. On en a besoin pour manger, mais on n’a pas envie de s’y tuer. On sait qu’on doit en avoir un pour vivre un minimum décemment (et encore, ça n’est même pas toujours le cas) mais on n’est plus prêts à faire n’importe quoi. On cherche du sens – au travail mais j’ai envie de dire, par extension, au fonctionnement de notre société consumériste, capitaliste, [insérer un truc pas cool en -iste] voire à la vie elle-même – mais on n’en trouve pas.

Parce que se pencher sur la question du travail, c’est se pencher sur l’état de la société elle-même et ce n’est pas sans avoir sa petite dimension flippante.

Travail, famille, party

Parce que ça dit quoi, finalement, quand on regarde notre rapport au travail actuellement ?

Des gens diplômés se retrouvent bloqués dans des jobs alimentaires et se font sous-employer faute de pouvoir trouver mieux. D’autres, sont tentés par l’entrepreneuriat et partent créer des start-ups aux projets improbables voire un peu cynique ou naïfs, glorifiant l’échec comme mesure de la réussite. Beaucoup sont en quête d’équilibre entre vie professionnelle et vie perso et certains même, osent encore rêver de l’inatteignable « job-passion » et se lançant dans l’indépendance ou l’auto-entrepreneuriat pour marier leurs désirs.

Et puis il y a celles et ceux qui aimeraient bien en avoir du travail. Tout simplement.

Nous entretenons un rapport étrange avec le travail : nous savons qu’il ne définit pas notre valeur en tant qu’être humain mais nous lui accordons encore le droit d’en être la mesure. Quand on rencontre quelqu’un de nouveau, on lui demande souvent son métier avant de s’intéresser à d’autres aspects bien plus intéressants de sa personnalité ou de son existence. On n’a beau se répéter que l’habit ne fait pas le moine, on continue à vouloir connaître la couleur de son slip.

En moyenne, le travail occupe un tiers de nos journées. On passe un autre tiers à dormir et le dernier à se demander pourquoi il faut qu’on y retourne demain (blague de gens optimistes).

Cependant, comme Coupland, je pense que le travail de demain n’aura plus le même sens. Je pense que certains jobs n’ont d’ailleurs déjà aucun sens et qu’ils ne sont que le produit de dizaines d’années d’enculage de mouche, mais ça n’engage que moi (Leeloo, community manager, job hautement primordial à la bonne rotation de la Terre) ! Je pense aussi que le lieu de travail de demain n’aura plus du tout la même dimension et comme le dit Coupland dans son intervention :

Le bureau de demain, c’est vous.

Malgré la tronche qu’a le monde du travail – et le monde entier – en ce moment, je n’ai vraiment pas envie de sombrer dans le pessimisme. Je suis persuadée que l’être humain a encore des tas de choses à offrir, de la créativité, de l’astuce, du génie, de la découverte, du progrès, mais qu’il a besoin de se faire confiance pour ça et d’oser changer.

Et sinon, toi, tu fais quoi dans la vie ?

3 commentaires pour “Douglas Coupland, Google et le futur de l’emploi

  1. J’aime bien Coupland même si je le trouve TRES inégal.
    Moi aussi un travail pas très utile, mais très « occupant » par contre. C’est eput-être une déformation de mon milieu pro mais j’ai l’impression que les cas que tu évoque (travail qui ne prend qu’un tiers de la journée, où on n’a pas grand chose à faire) sont quand même des cas super privilégiés. Beaucoup d’entre nous sont pressés comme des citron jusqu’au moment où ils feront un burnout. Et beaucoup d’entre nous ne sont pas cadre.

    1. Je suis d’accord avec toi, il y a effectivement une grande majorité de boulots stressants et qui occupent de vraies journées de taf complètes, voire plus. Je ne suis pas cadre non plus et je bosse dans un secteur où le burnout est fréquent mais le bore out aussi.

      Cependant, en ce qui me concerne, après avoir fini sous Xanax une fois à cause d’un ancien employeur, j’ai décidé de ne plus accorder trop d’importance à mon boulot, du moins plus autant. Après je reconnais que je suis très chanceuse de travailler dans une entreprise où on ne me met pas de pression et j’en suis vraiment reconnaissante.

      1. Après quand je parlais de taf qui occupe 1/3 d’une journée, je voulais dire 1/3 de 24 heures (pour être certaine qu’on se comprend bien 😉 )

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